Une fois n'est pas coutume, commençons par la fin, puisqu'elle est déjà écrite, passée et oubliée : Jung Jun Ho est mort à 26 ans, de quatre balles dans le corps. Pas un hasard, bien au contraire, lui-même s'y attendait un peu, et durant les quelques minutes qu'il a passées allongé dans une ruelle sombre de la ville à se vider de son sang, il s'est dit qu'au fond, il finissait sa vie comme il l'avait commencée. Et si son histoire vous rappelle vaguement quelque chose, si elle déclenche un souvenir lointain et flou dans votre esprit, c'est qu'à l'époque des faits, elle avait fait grand bruit. Sachez enfin que tout ce que pensiez savoir sur sa mort est faux, ou du moins l'essentiel.

Junho est né dans une famille riche, et le mot est faible, et ses premières années ont été, bien sûr, heureuses. Mais arrive un moment où n'importe quel petit garçon se pose des questions sur ses parents. Son père, un chef d'entreprise... enfin, c'est ce qu'il croyait. Oh, des entreprises, il en avait. Beaucoup. Mais en vérité, tout ça n'était qu'une façade. La famille de Junho était, comme on disait déjà à l'époque, des membres éminents du crime organisé de Séoul. Chaque grande cité à sa maffia, et l'Asie est le nouveau paradis de la drogue, des drogues dont les hommes comme le père de Junho organisent la fabrication, des champs verdoyants aux usines de transformation de Thaïlande ou du Cambodge, l'importation jusqu'en Corée via des cargos passant par la Chine, et enfin, l'écoulement dans tout le pays. Bref, Junho a compris que sa famille n'avait rien de respectable. Et au moment où il l'a compris, son père l'a su, et a décidé de l'emmener partout avec lui pour lui en montrer plus. Bien sûr il ne pouvait pas se douter qu'il avait engendré un fils totalement opposé à sa propre personne... Cela a duré quelques années, durant lesquelles Junho a hérité du tatouage débile de la famille, s'est fait suivre comme un prince par des hommes de main et a vu les ravages que causait son père à la société pour son seul profit.

15 ans. C'est l'âge qu'avait le garçon quand il a décidé de s'en aller voir ailleurs. Autant dire qu'il n'est pas parti les mains vides - l'argent qu'il a volé à son père lui a assuré une jeunesse confortable, il s'est fondu dans Séoul, s'est acheté un appartement, s'est payé des études... Honnêtement, son père avait le bras assez long pour le retrouver. Mais il ne l'a jamais fait, et pour Junho c'est le seul geste d'amour que son père a jamais fait pour lui.

A partir de là, il a changé de vie. L'argent qu'il lui restait, il le dépense petit à petit dans des œuvres de charités ou des associations de la ville, de la salle de danse du coin pour enfants défavorisés jusqu'aux abris pour SDF. Lui vit au jour le jour avec l'argent qu'il gagne de ses petits boulots, et autant dire qu'il a tout, absolument tout fait - tant que ça restait dans le domaine de la loi ! Il a livré (des journaux, des pizzas, des colis), nettoyé (des entreprises, des ruelles, des vitres des tours du centre-ville), jardiné (dans les parcs, les forêts), vendu (fringues, tickets de cinéma, même des bibles au porte-à-porte) etc. Rien ne lui fait peur, en fait il adore tout tester. Il ne vit plus comme avant, dans l'opulence, mais comme un simple étudiant.

Et justement, parlons-en de ses études : il s'est inscrit en droit, il rêve d'être policier. La chance qu'il a, c'est qu'en ayant fui sa famille avant d'être majeur, la police n'a pas eu le temps d'ouvrir un dossier sur son compte. Parfois il rêve de poursuivre les criminels et de défendre la veuve et l'orphelin, parfois il atterrit et veut simplement devenir flic parce qu'il sent que c'est le métier qu'il lui faut. Plus qu'une année de droit, et il pourra rentrer dans l'école de police de Séoul. Encore deux ans, et il sera inspecteur. Et il n'attend que ça !

Revenons maintenant au début de cette histoire - qui en est donc la fin. Junho est devenu policier tout comme il l'avait prévu. Il a passé un an seulement à s'occuper des crimes de la ville, puis on lui a proposé de retourner dans sa famille sous couverture. Ses années loin de sa famille seraient effacées, il aurait un nouveau passé, fait d'errance, jusqu'à ce qu'il décide de revenir à ses racines : le crime organisé. Dans la police, des voix se sont élevées, "trop jeune" "trop tôt". Junho a accepté avec enthousiasme. Il avait 25 ans. Il a passé 1 an sous couverture avec pour seul contact avec la police un agent de liaison. C'est ce dernier qui a fait une erreur. C'est à cause de cette erreur que Junho a été démasqué et qu'il a été abattu par deux types inconnus dans une ruelle sordide dans l'indifférence générale. What else ??

Ah oui... quand les médias se sont emparés de l'affaire, la police a craint de voir sa responsabilité mise en cause. L'histoire du jeune policier envoyé trop tôt sur une mission trop difficile et mort à cause d'une erreur interne s'est transformée. Pour le peu de gens qui s'en souviennent, Junho est un traître, un policier véreux qui avait décidé de revenir définitivement auprès de sa famille et de l'argent facile. Pour ceux qui connaissent la vérité, à part peut-être le partenaire et agent de liaison de Junho, c'est une affaire classée depuis longtemps.

Bon eh bien, tout est dit ! Même s'il savait le destin qui l'attend, Junho ne changerait pas son existence d'une minute ou d'un centimètre. On est idiot ou on ne l'est pas !