« Bonjour. Je m'appelle Sunghyo, Park Sunghyo. J'ai 48 ans. Je suis ici parce que l'avocat de ma famille me l'a grandement recommandé après la mort de mon père, il y a 2 mois. Mais ça, vous le savez, n'est-ce pas ? Je me disais bien : vous savez tout de moi. De mon enfance à aujourd'hui. De l'enfant rayonnante que j'étais à la vielle femme terme que je suis. Si vous savez tout, alors pourquoi ? Pourquoi dois-je parler ? Mon point de vue sur l'histoire ? Ah. Ma vision des choses ! Oui, comment j'ai ressenti les événements de ma vie. C'est la première que je vais raconter ma vie à quelqu'un. C'est embarrassant...
Je suis née à Londres en 2002, de parents coréens. Mon père était un riche entrepreneur qui voyageait beaucoup, d'où le fait que je sois née à Londres. Ma mère était un mannequin plus ou moins célèbre. J'avais un grand frère, Sungha. C'était ma moitié, mon double masculin, mon tout. Enfin, physiquement non, nous n'avions rien de comparable. Je l'aimais comme jamais je n'ai aimé personne. J'étais jeune mais je m'en souviens encore... Après plus de 40 ans. Ces après-midi où l'on courait, jouait innocemment dans le jardin fleuri par le printemps... Oui, je m'en souviens, comme si c'était hier. Il portait toujours ce sourire enjoué et communicatif... Même s'il semblait en colère ou triste devant les autres, à moi, il me souriait éternellement. Seulement, le petit monde, que j'avais crée autour de lui, a été brisé par le divorce de nos parents. En 2014. J'avais 10 ans, Sungha en avait 12. Ma mère en avait marre de mon père. Il travaillait beaucoup alors qu'elle, elle ne faisait rien de ses journées. Elle ne s'occupait même pas de nous. À cause de l'ennuie, elle est partie m'emmenant avec elle sous les larmes de mon père et nos cris à Sungha et moi. Je ne les ai jamais revus, ni Sungha, ni mon père. Durant toute mon adolescence, je n'eus ni numéro de téléphone, ni adresse. C'était pourtant pas faute d'essayer ! Il y avait des fois où j'insistais tellement que ma mère me giflait. Puis un jour, j'ai su. Je fouillais dans son bureau et je suis tombée sur une lettre de mon père : ils étaient partis pour leur pays natale, la Corée. Depuis je ne vivais que pour ça... Les retrouver, le retrouver, Sungha. Je m'étais fixé un objectif : Rentrer en Corée et retrouver ma vraie famille ! Ensuite ma mère s'est remarié. Je le détestais. Non pas parce qu'il avait remplacé mon père, mais parce qu'il portait sur moi des regards insupportables, lourds et intenses. J'avais développé une sorte de méfiance, de peur envers cet homme. Alors, pour passer moins de temps en leur présence, j'ai pris des cours de danse et repris des cours de piano à l'extérieur. Mon père m'a appris le piano lorsque j'étais enfant. Même s'il était très occupé, il prenait du temps pour me transmettre sa passion et son talent. C'est la seule chose que j'ai gardé de lui et encore aujourd'hui. Et quand on s'est quitté, j'ai tout arrêté. La danse, au début, s'était pour m'échapper de la maison, mais peu à peu, c'était devenu quelque chose d'indispensable. Je consacrais tout mon temps libre à ça, mes soirées, mes week-end, mes vacances. Je me souviens aussi avoir énormément travaillé ! Je voulais entrer à Yeonsei University à Séoul option Musique. J'ai bossé comme jamais pour me construire le chemin jusqu'à ma liberté ! J'allais enfin retourner en Corée et revoir Sungha et mon père ! Malheureusement tout ne s'est pas passé comme prévu. En 2019, j'ai envoyé ma candidature avec un parcours parfait, pas un écart. Cependant, je n'ai jamais reçu de réponse... Je suis tombée dans la dépression. En plus d'avoir perdu mon frère et mon père, j'avais perdu le seul moyen de les retrouver. J'ai tout arrêté, de nouveau. Piano. Danse. J'ai beaucoup pleuré... Non, j'étais constamment en larmes. Je me détestais. Je me détestais parce que j'avais toujours été quelqu'un de sûr de soi, qui ne se laissait jamais marcher sur les pieds, qui étais fière d'elle. Pourtant, j'avais perdu ma confiance en moi. J'avais l'impression de ne faire que des conneries, je me laissais faire par les autres. J'avais l'impression de n'être plus rien, d'être perdue. Et c'était le cas. Finalement, tout se perd si facilement. Et on finit par se perdre soi-même, un peu puis beaucoup... Bien sûr vous vous dites que j'avais mes amis, mais quand il arrive quelque chose... Quand c'est quelque chose de très grave qui vous tombe dessus, vous vous sentez tellement seul et vous ne pouvez pas en parler, les gens accepteraient de vous écouter mais ils ne comprendraient pas... En fait ils ne peuvent pas comprendre. Je crois qu'on ne peut pas partager certaines choses... Et qu'est-ce qu'on fait dans ces cas-là ?... On pleure pour exprimer sa solitude. On attend que la douleur passe avec le temps, mais elle ne passe pas malgré les efforts. D'un côté, on ne veut pas qu'elle passe par peur d'oublier, de les oublier, d'oublier la réalité. Alors, comme un remède, je pensais à eux et je pense à eux. J'ai passé des mois, refermée sur moi-même. Un jour, le nouveau mari de ma mère est entrée dans ma chambre un sourire particulier aux joues. Il avançait en me regardant. J'étais totalement incapable de bouger, de me défendre trop épuisée par les larmes. Il m'a pris la main et m'a poussée sur le lit. Il a commencé à me déshabiller. Je tremblais, je pleurais. Mais je n'ai jamais crié. Ça n'aura servi à rien. J'étais seule, comme toujours. Alors... J'ai attendu que ça passe. J'ai attendu qu'il parte laissant mon corps souillé derrière lui. J'ai beaucoup saigné suite à ça. Mon corps a saigné et mon coeur aussi. Ma mère a refusé de me croire, elle a dit que je mentais et m'a jeté dehors avec toutes mes affaires. J'ai utilisé la totalité de mes économies pour prendre l'avion jusqu'à Séoul. Je n'avais plus rien pour rechercher mon père, ni mon frère. Peut-être, avaient-ils quitté la ville, ou même le pays. Depuis 2021, je vis ici à Séoul sans rien. Un emploi de bibliothécaire, un petit appartement. Pas de famille, pas d'ami. De simples adolescents qui me demande des conseils. Des fois, j'imagine comment aurait pu être mon frère... Il y a quelques semaines, j'ai reçu un coup de téléphone d'un certain Lee Myungsoo, soit disant avocat de mon père. Il m'invitait à l'enterrement de celui-ci. J'y suis allé. J'ai revu mon frère, mais de loin. Il était tellement effondré qu'il ne m'a pas vu tout de suite. Moi, je n'ai pu que le regarder. Il n'a pas changé, il est toujours aussi beau même à 50 ans. Lorsque nos regards enfin se sont croisés, je sais qu'il m'a reconnu. Il a eu ce sourire à travers ses larmes que je lui connais si bien. Mais j'ai su que jamais nous nous parlerions, c'était trop tard. Je n'ai parlé qu'à M.Lee, l'avocat. Il m'a avoué avoir parlé avec ma mère et son mari... J'ai appris que ma réponse de Yeonsei University avait été brûlée par mon beau-père et que j'avais été acceptée. »
« Et bien, mademoiselle. L'Autre Monde est fait pour vous. J'espère que vos années universitaires se passeront bien et vous retrouverez vite votre famille. Bonne chance ! »