Dans l'attente, une clope entre l'index et le majeur, je regarde autour de moi. La grande avenue. Ici beaucoup d'histoire commencent et prennent fin si vous ouvrez grand les yeux. C'est un des endroits où on met les pieds pour réaliser que quoi qu'il puisse nous arriver, le monde ne cesse pas de tourner. Le temps ne nous attend pas. Une aspiration, un nuage de nicotine. La grande avenue. Je regarde les personnes défiler. Une femme au coin de la rue qui n'a d'yeux que pour sa montre, l'air impatiente. Probablement un rendez-vous. Elle attendra encore quinze minutes et on l'appellera pour annuler. Elle dira que ce n'est pas grave, alors que les larmes auront déjà prit place sur son visage. Il y a aussi cette vieille femme qui méprise le monde entier. Qui croit avoir tout connu et qui s'obstine à rester dans sa bulle. Elle manque de se faire renverser car elle traverse au feu vert. Et à l'opposé, il y a ses petits enfants qui l'attendent. Il y a ce couple qui se brise, ce couple qui s'unit. Il y a la tristesse d'une mère qui pose des affiches pour retrouver son enfant. Il y a des personnes qui s'attendent et d'autres que personne n'attend. La grande avenue est bien triste aujourd'hui. Bien plus que les autres semaines. Elle déborde de tristesse. De personnes qui se déçoivent, qui pensaient se connaître alors qu'elles ne faisaient que se découvrir. De personnes qui veulent du rêve quand la réalité frappe. Personnes qui abandonnent, qui sont abandonnées. Un couple brisé, une vie que l'on gâche, une attente qui ne conduira nul part. La grande avenue est déprimante et déprimée ce soir. Et je ne trouve pas ma place dans cette foule. Je suis là en tant que spectatrice. J'attends aussi quelqu'un pourtant, mais je sais que cette personne ne me laissera pas tomber. Pourquoi ? Parce que notre histoire est différente. Je ne peux pas envisager une seconde ma vie sans elle. Pas une seule journée, ni même une seule seconde. Non, je ne m'attache pas naïvement. Non, je ne prend pas de risque. Parce que tout est clair entre nous. Depuis plusieurs années déjà, tout est clair. Et si par malheur elle venait à disparaître, je perdrais quelqu'un d'important. Je ne sais pas comment je ferai pour m'en remettre. Je ne sais pas comment je ferai pour marcher droit, à nouveau. Y a t-il une méthode pour marcher droit alors que vous avez perdu une des personnes les plus importantes de votre vie ? Certaines personnes disent que les gens ne sont pas si indispensables que ça, que l'humain s'adapte à tout. Que la douleur que l’absence à laissé s’atténue au fil du temps. Je n'y crois pas. Certes, il y a des personnes dont on se passe. Mais Mi Ae n'est pas de ces personnes là. Elle n'a pas d'étiquette. Elle est juste là dans les pires moments, et les meilleurs moments. Nos peines ne nous ont pas éloignées, au contraire. Il n'y a pas de pourquoi dans notre relation, pas de question. C'est comme ça, c'est tout.


Je mon attention se porte au ciel. Le ciel est bleu encre ce soir. Quand on se concentre un peu, on peut y voir quelques nuages, cachés dans l'obscurité. La grande avenue ne s'est pas encore endormie. Les lumières réparties un peu partout la maintiennent éveillée. C'est un endroit où j'aime mettre les pieds lorsque j'ai besoin de réfléchir. D'être toute seule sans pour autant l'être vraiment. Ce n'est pas l'endroit le plus calme au monde par excellence. Des enfants y courent. Des personnes y téléphonent tout en marchant. Des personnes se font voler et se courent après. Des personnes s'y battent, s'insultent. Non, ce n'est pas l'endroit le plus calme au monde. Mais ça me conviens parfaitement. Ma mère m’emmenait souvent ici. Elle me disait que les gens étaient eux même dans ce genre d'endroit. Qu'ils ne portaient aucun masque... Et se contentaient de vivre, simplement. C'était notre refuge, quand tout allait au plus mal. Elle me disait avec un mince sourire au lèvres ; "La vie n'est pas facile Hana. Elle n'est facile pour personne. Mais les nuages les plus tristes finissent pas disparaître. Un jour, on pourra être heureuses nous aussi, parce que les nuages les plus tristes disparaissent. Ça prends tu temps, mais tu verras..." Ma mère y croyait dur comme fer à ce qu'elle disait. Les blessures au visage dissimulées au maquillage, elle y croyait. Elle avait eu raison d'y croire. Appuyée contre un mur, je regarde ces voitures qui défilent tout en y repensant. La grande avenue est bien triste ce soir, et j'attends Mi Ae. Ma cigarette se consume à vitesse monstre.

Retour dans le passé. Encore maintenant, ça lui semblait impossible. Totalement absurde. Et pourtant, tout le monde était là, quelque part dans ce monde entre la vie et la mort. A rire sans se préoccuper de ce que le futur pourrait leur réserver. Mi Ae avait conscience de cette double réalité, elle. Accrue, sans doute, par le nombre de pertes qu'elle avait affronté peu après l'année 2020. Foutus souvenirs flous qui pourtant lui poignardaient le cœur. Alors quand la personne la plus importante de sa vie avait téléphoné pour lui donner rendez-vous sur la grande avenue, son sang n'avait fait que se figer dans ses veines. A peine si elle n'avait pas bégayer pour lui dire qu'elle serait là dans quelques minutes. Car oui, la brune était maintenant en train de courir à perdre haleine pour se rendre sur place, faisant à peine attention à ceux qu'elle frôlait au passage. Même ses oreilles refusaient de capter leurs protestations. Rien ne pouvait l'atteindre maintenant que son cœur semblait battre à toute allure dans sa tête, ses sentiments mettant littéralement tout son être sans dessus dessous. 'Hana !', voilà ce qu'elle voulait crier. Parce que cette idiote avait eut la mauvaise idée de faire un geste de trop dans ce magasin, autrefois. Secouant la tête, elle se corrigea : Dans ce futur proche. Trop proche. Pourtant, elle se souvenait avec trop de netteté du minuscule article de journal qui avait mentionné cette prise d'otage. Puis du visage et du nom trop bien connus dans la section nécrologique. La mère avait bien appelé pour lui donner l'heure et le lieu de l'enterrement, mais comme pour Sei Hwan, l'étudiante avait refusé de voir la réalité en face. Trop de choses d'un coup pour la gamine qu'elle était encore à l'époque. Et là, la foule. Elle s'arrêta, tentant de calmer sa respiration désordonnée en appuyant ses paumes sur ses genoux. Pour une fois, la coréenne semblait tout sauf posée. Pas question de se montrer encore dégoulinante de sueur devant sa meilleure amie d'enfance. On le lui avait bien spécifié avant son passage dans l'ancien Séoul : Ne surtout pas se montrer différente. Elle avait le droit de profiter de ce temps supplémentaire, mais pas de crier l'existence de cette future invention sur tous les toits. De toute façon, personne n'y croirait. Qu'importe, ce n'était pas grave. Tant qu'elle pouvait changer les choses, rien ne serait jamais grave.

Pile à ce moment, le regard figé entre deux passants qui ne l'intéressaient absolument pas, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Ses yeux se brouillèrent de larmes malgré elle. L'air de rien, l'intouchable fille de riche qu'elle était possédait des sentiments. Faisant un pas tout en reprenant une position verticale, l'apprentie photographe se mordilla la lèvre inférieure. Le temps semblait comme ralenti, tout à coup. Le vacarme des voitures ne l'atteignait plus. Le cri d'une vieille femme qu'elle venait de bloquer en s'arrêtant n'arrivait pas à détourner son regard abyssal des cheveux clairs de celle qu'elle était venue rejoindre. Celle qui avait toujours été là, pour le meilleur comme pour le pire. Toujours, avant sa mort.

MI AE ▬ Hana... »

Se prenant dans le même temps un coup de canne sur l'épaule, la mini-pouce tourna un regard froid sur la mémé qui avait définitivement décidé de la retarder, non sans lâcher un petit aie plein de conviction.

HALMEONI ▬ On s'excuse face à ses ainés !
MI AE ▬ Mais j'ai presque le... »

... 'Même âge que vous' était la suite de la phrase. Bizarrement, ou pas, elle mourut sur ses lèvres. Comme dans un rêve, la fautive baissa brièvement le regard sur son corps jeune et fringuant, presque perplexe en le voyant. Ça non plus, elle ne s'y était pas encore habituée.

HALMEONI ▬ On ne réplique pas à ses ainés ! »

Deuxième coup de canne de la journée. A croire que certaines choses ne changeaient pas, comme le fait de toujours s'attirer des ennuis.

MI AE ▬ Jeongmal mian haeyo. »

Et sans même laisser le temps à cette inconnue de la maltraiter une fois de plus, la demoiselle reprit son chemin d'une marche rapide, venant se planter devant Hana comme par magie pour lui retirer net sa cigarette de la main.

MI AE ▬ Fumer tue, on ne te l'a jamais dis ? » Alors pourquoi diable prends-tu une bouffée, hein ? « Et tant qu'à faire, j'aimerai que tu ne partes pas de si tôt. »

Le coup suivant, la brune avait lâché l'objet du délit et l'écrasait tranquillement de la pointe du pied, un sourire moqueur aux lèvres. Parce que l'air de rien, c'était ça ou se jeter dans ses bras pour pleurer toutes les larmes de son corps en lui racontant l'histoire de sa vie. Définitivement pas la bonne solution. Quoiqu'il arrive, cette fille n'avait pas intérêt à mourir une seconde fois. Pas avant d'avoir atteint un minimum de quatre-vingt-dix ans. Prenant un air parfaitement naturel, elle glissa son bras sous celui de la blonde et la regarda avec l'air fautif d'un chat pris en faute.

MI AE ▬ Désolée d'avoir joué les fantômes, j'étais vraiment occupée. Un superbe devoir à faire avec une fille de ma section. Un enfer, en fait. »

Non, ce n'était pas totalement un mensonge. Mi Ae avait réellement été occupée par Soo Bin depuis son arrivée en direct du futur. Après, ce n'était pas non plus tout à fait la vérité : Si elle n'avait pas répondu aux messages d'Hana jusque là, c'est parce que son esprit avait mit un temps fou à percuter que tout ça n'était pas juste un rêve duquel elle allait se réveiller dans une seconde. Raison pour laquelle elle s'accrochait si bien à son amie, sans doute, vu qu'elle supportait difficilement les contacts d'habitude.

Un nuage de nicotine à nouveau, qui s'échappe lentement de mes lèvres. Quand j'y pense, donner un sens à ma vie avant qu'elle ne débarque, c'était comme dormir les yeux ouverts, chanter sans voix, marcher à reculons, aimer sans sentiment. Impossible. Tout simplement impossible. Je me cachais dans des promesses, illusions à l'époque, pour marcher droit. Mais ça ne durait pas bien longtemps. La chute était à chaque fois brutale. Alors il y a des moments comme ça, comme ce soir, comme les autres jours, comme les autres années, des souvenirs qui ne méritent d'être retouchés par aucun logiciel. Parce qu'elle finit bien par arriver. Un peu perdue dans mes pensés, sa présence me surprend légèrement. Pas assez pour qu'elle s'en rende compte toutes fois. Et elle me pique ma -merveilleuse, magnifique, précieuse- cigarette.

Mi Ae - Fumer tue, on ne te l'a jamais dis ?

Des centaines de fois. Pourtant, cette phrase ne sonne pas comme elle le devrait dans ma tête. Tuer, vivre, mort, vie. Même si je sais ce que tout ça représente, quand il est question de moi, j'ai tendance à négliger ces mots. Ou me négliger tout court. Un mince sourire se dessine sur mes lèvres. Sourire qui disparaît lentement à la suite de ses paroles. J'ai bien envie de lui retourner la phrase, mais à mon sourire, elle doit lire dans mes pensés. Partir, ce verbe résonne un moment dans ma tête avant que je ne revienne justement. La cigarette et tombée au sol. Elle ne lui a certainement pas glissée des mains. Son visage lui aussi parle. Glissant son bras sous le mien, à ma plus grande surprise car Mi Ae n'est pas une adepte du contact physique, elle m'explique pourquoi elle est si en retard. La clope écrasée n'a plus d'importance.


Mi Ae - Désolée d'avoir joué les fantômes, j'étais vraiment occupée. Un superbe devoir à faire avec une fille de ma section. Un enfer, en fait.


Décollant mon regard du sol, je pose mon attention sur elle. Ma meilleure amie dramatise. Rien n'est grave, du moment que nous sommes toutes les deux ici. Du moment que tout va bien... Oui, elle dramatise. Malgré moi, je souris faiblement en lui répondant ;


Hana - Mi, t’exagères... C'est n'est que quelques minutes. Il m'est rien arrivé, hm ? On est là, aucune de nous deux n'est morte ou n'a frôlé la mort. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ~ Enfin, d'une certaine façon oui.


Effaçons, effaçons l'inquiétude. Changeons de sujet. Ce soir, il n'y a de place que pour l'opposé. Parce qu'au moment de se quitter l'émotion monte, alors pour le peu de temps que nous passerons ensemble -parce que le temps est toujours trop court à mes yeux avec elle- je ne veux pas m'inquiéter, faire ressurgir mes cauchemars. Mais c'est en partie pour cette raison que je l'ai appeler, que je voulais la voir ; ils ont refait surface. Oublions à deux ce qui nous tracasse. Consolons nous dans le silence... Les larmes ne couleront pas. Les larmes ont cessées de couler en primaire. Et puis j'ai appris à partir quand elles menaçaient de couler. Partir, sourire, dissimuler. Puis avec Mi Ae, j'ai appris à les cachées, simplement... "Quelques minutes". Dans nos tête, on sait que c'est bien plus que ça... Soudain, j'entraine ma meilleure amie au bout milieu de la grande avenue.


Hana - Dis moi, si c'était ton dernier soir, qu'est-ce que tu aimerais faire ?


J'ai des idées plein la tête ? Ne pas se fier aux sourires.

C'était tellement... Facile. Plus facile qu'elle ne l'aurait cru. Lire dans ses yeux. Le seul livre vivant qui ne rebutait pas Mi Ae. Oublié. Elle avait oublié cet éclat dans le regard d'Hana. Celui qui disait qu'elle aussi tenait à elle. Qu'aucune n'avait le droit de disparaître. Pas sans l'autre. Une chose qu'elle ferait mieux de lui enfoncer dans la tête, avant que le cauchemar ne se répète. Changer de conversation, voilà qui était moins dangereux.

HANA ▬ Mi, t’exagères... C'est n'est que quelques minutes. Il m'est rien arrivé, hm ? On est là, aucune de nous deux n'est morte ou n'a frôlé la mort. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ~ Enfin, d'une certaine façon oui.
MI AE ▬ D'une certaine façon... »

Et si, sur ce temps, cette fille essentielle à sa vie était entrée dans un magasin ? Non pas que la brune pourrait l'en empêcher éternellement. Mais la date était floue. Trop floue, dans sa tête remplie de sentiments contradictoires. Alors même que sa main était posée sur son avant bras, sa meilleure amie lui manquait. Comme ça. Sans explication convaincante. Du coup, elle resserra discrètement le bout de ses doigts sur ce bras. Ne plus jamais la lâcher. Bon programme. Certes, elle exagérait sans doute. Mais qui ne l'aurait pas fait à sa place ? Après tout, ce n'était pas comme si sa compagne était harcelée en permanence par son passé. Ni comme si Mi Ae n'était pas censée penser à la sacrosainte réputation de sa famille. Le meilleur des mondes, en effet. Son visage devait parler pour elle-même qu'elle esquissait une grimace entre le dégoût et le sourire. L'inquiétude était difficile à effacer. Pour autant, l'étudiante fit mine de transformer sa moue en joie. Elle ne voulait pas mentir. N'était pas faites pour ça. Mais il y a certaines choses qu'on a vraiment pas le droit de dire. Surtout quand on ne tient pas à avoir l'air complètement folle. Son mouvement pour pousser au contact physique était suffisamment dingue comme ça. Elle savait déjà, de toute façon, que la blonde l'apprendrait bien assez tôt. Parce qu'un jour, il faudrait parler. Juste parce que c'était elle, et personne d'autre. Mais pas tout de suite. Tout de suite, c'était l'heure rêvée pour reconstruire ce qu'elle avait perdu trente ans auparavant. Effacer le passé et le futur pour ne laisser que le présent, celui dans lequel Hana était toujours là, partageant silencieusement ses rêves et ses peurs avec elle. Sans se faire prier, la belle se laissa entrainer au milieu de l'avenue, en plein dans le trafic des passants. Le regard curieux, parce que tout ça semblait déjà si loin. Le futur ne ressemblait pas à ça. Les gens ne courraient plus avec cet air inquiet scotché sur le visage pour un rendez-vous manqué. Les hommes d'affaires ne s'accrochaient plus fermement à leurs portables. Plus que ça, elle n'avait plus mit le pied hors de l'hôpital depuis si longtemps ! Tout ça semblait fou.

HANA ▬ Dis moi, si c'était ton dernier soir, qu'est-ce que tu aimerais faire ?
MI AE ▬ Mon... Dernier... Soir ? »

A ces mots se rajouta un regard troublé vers le visage de la danseuse. Question étrange. Elle n'y avait jamais pensé. Trop occupée à tenter de provoquer ce dernier soir, sans doute. Dans cette autre réalité, il n'y avait plus rien qu'elle souhaitait faire. Ici... Tout était permis. A cette prise de conscience, un fin sourire vint étirer ses lèvres fines. La vie, maintenant, avait un goût. Un goût d'interdit, mais un goût malgré tout. En cela, leurs sourires se ressemblaient. Car il y avait tellement de choses à faire dans ce monde !

MI AE ▬ Manger un kimbap ! ... Attends, non, ça c'est stupide. Aller danser toute la nuit ! Et te prendre en photos. Beaucoup de photos. »

Juste parce qu'elle n'avait jamais prit le temps de la photographier. Pourquoi ? Parce que pour elle, Hana serait toujours là. A l'époque, ce n'était même pas une question qu'elle se posait, de si elle disparaîtrait un jour ou non. Dans sa tête, tout était clair. Elles seraient ensemble. A tout jamais. A s'inquiéter, presque, qu'elle fut plus importante dans son cœur que n'importe quel homme le serait jamais.

MI AE ▬ Ensuite, j'irai passer ce qu'il me reste de temps à regarder les étoiles. Parce que je les rejoindrai bientôt. Pourquoi, tu as décidé de m'assassiner à la fin de la soirée ? »

Évidemment, la question autant que le froncement de sourcils n'étaient que des composants d'une blague. A croire qu'elle aimait l'humour noir, la jolie rebelle. Heureusement que son amie la connaissait. Quelqu'un d'autre l'aurait déjà étranglé, pour faire bonne mesure.

Je sais ce que représente une vie. C'est quelque chose qu'on ne remplace pas, peu importe la personne qu'on a pu être. Appréciée, détestée, oubliée. Aucune monnaie ne remplace ça, parce que c'est tellement unique. Certaines personnes diront stupidement que ce manteau est tellement rare que la valeur est supérieure à ma vie. Ils étiquettent nos vies avec des chiffres, alors qu'à la fin, ces chiffres là n'existent probablement plus. Chacun à sa façon de voir les choses. Je pense qu'une vie, peu importe le temps qu'elle durera, une vie avec beaucoup de souvenir, c'est simplement immense. Immense parce qu’éphémère, comme la fumée de mes clopes, elle n'est pas éternelle. Vu de ma tête, mots là peuvent avoir l'air étranges. Cesser de trop réfléchir, je devrais. Parce qu'au moment même où je pense trop, je trouve Mi Ae étrange. Et trop réfléchir me fais douter de ce que je vois. Je n'ai pas envie de paraître trop inquiète alors que ce n'est pas le cas, vous comprenez ? Non, vous ne comprenez pas. Toutes ces pensés qui se bousculent dans ma tête, c'est compliqué. Je ne dis pas que vous n'avez pas les capacités requises pour comprendre, mais ... Mais vous ne comprenez tout simplement pas.


Si vous deviez vivre votre dernière soirée, là, maintenant ; qu'est-ce que vous feriez ? Cette question posée au mauvais moment surement, c'était celle qui à présent me triturait l'esprit. Que répondre à ça ? Pour moi, les choses étaient claires dans ma tête. Si cette soirée était ma dernière soirée, si c'était là fin... Je réunirai les personnes qui me sont le plus importantes. Sur le toit, peu importe quel toit. Je veux qu'on puisse y voir des feux d'artifices. Je veux qu'on passe des musiques joyeuses. Je veux qu'on oublie que c'est mon dernier soir justement, qu'on contourne ce détail pour s'amuser, rire aux éclats. Je veux passer mes derniers instants avec eux. Ce serait ça, mon image d'une soirée parfaite. De la dernière soirée à laquelle j'assisterai. Et le nombre de personnes présentes ne serait pas énorme, mais ça me conviendrait.


Mi Ae - Mon... Dernier... Soir ?


Ce qui semblerait se traduire par ; Oui Hana, qu'est-ce que tu as dans la tête ce soir pour poser une question aussi spéciale ? Tu veux un coup de marteau sur la tête ? Je ne réponds pas, hoche simplement la tête. Je la laisse juste y réfléchir, tandis que nos pas ni trop pressés, ni trop lents parcourent la grande avenue. Un certains temps après que la réponse soit posée, elle y réponds ;


Mi Ae - Manger un kimbap ! ... Attends, non, ça c'est stupide. Aller danser toute la nuit ! Et te prendre en photos. Beaucoup de photos... Ensuite, j'irai passer ce qu'il me reste de temps à regarder les étoiles. Parce que je les rejoindrai bientôt. Pourquoi, tu as décidé de m'assassiner à la fin de la soirée ?


Et pour la première fois de la journée probablement, je rigole.


Hana - Idiote. Si j'y avais pensé une seconde, la grande avenue serait le pire des endroits. Du monde, du bruit... Du monde. Plutôt t'enfermer dans une cave ?


Je crois que j'en aurais fait détaler plus d'un avec ces quelques phrases. Je crois que si j'étais une inconnue et que je me croisais dans une rue, je détalerais aussi.


Hana - Plus sérieusement... La femme de mon appartement a perdu son fils hier soir. Il venait lui rendre visite et on l'a méchamment tabassé. Elle l'a appris aux infos ce soir. Tu vois, je pense que la valeur d'une vie est énorme. On peut perdre beaucoup de choses. Quelqu'un de cher, beaucoup d'argent, un bras, se rendre aveugle, on peut même être à deux minutes à de mourir et on se retrouve à encore voir des projet en tête. Et ça m'a fais réaliser à quel point elle peut être courte la vie. Alors passer du temps avec ceux qu'on aime, j'pense que ma place est là... Enfin, toi t'es un cas spécial. Aimer est trop faible comme verbe.


A ces mots, nous arrivons à destination. Une petite boutique qui porte le nom de ; "Happiness place", une boutique de décoration enfaite, qui a ouvert ses portes il y a quelques semaines. Les inscriptions clignotent en vert émeraude dans la nuit. Je pousse les porte, sans pour autant lâcher Mi Ae, oui oui, elle risquerait de s'enfuir.


Hana - Ce soir, faisons quelque chose d'inoubliable.


Et je ne parle pas de braquer une banque, non, nous ne sommes pas encore arrivées à ce stade.

C'était encore trop simple. Trop normal pour emballer le cœur rebelle de Mi Ae. Tellement longtemps qu'elle n'avait pas ressenti ça. Ce besoin irrépressible de faire n'importe quoi, qu'importe le prix. Cette fois-ci serait différente. Son tempérament saurait apprendre de son passé, et ses erreurs ne seraient plus insurmontables. Alors manger, prendre des photos, danser... Tout ça pouvait attendre. Elle pourrait le faire plus tard. Ou pas. Sa mort pouvait-elle arriver sans prévenir ? Tant pis, elle ferait avec. La brune avait déjà vécu. Pas bien vécu, mais c'était suffisant pour ne pas demander de temps supplémentaire pour elle-même. Non, elle voulait que ce temps soit donné à Hana, donné à Sei Hwan. Donné à ceux qu'elle aimait, parce qu'on avait pas eut l'occasion de leur poser la question que sa meilleure amie venait de soulever. Si c'était son dernier soir, qu'est-ce que tu aimerais faire ? Alors même qu'elle parlait, ces mots résonnaient dans sa tête. Mélodie sans fin. Disque rayé sur quelque chose qui ne possédait pas de véritable raison. Rien. Tout. Voilà ce que l'apprentie photographe voulait faire. Parce que sa main chaude sur le bras de la blonde suffisait à son bonheur. Aussi parce que son rire, si spécial, si doux à ses oreilles, elle ne l'a plus entendu depuis des siècles. Voilà le plus beau des sons de la terre.

HANA ▬ Idiote. Si j'y avais pensé une seconde, la grande avenue serait le pire des endroits. Du monde, du bruit... Du monde. Plutôt t'enfermer dans une cave ?
MI AE ▬ Avec des araignées ? Bonne idée, je serai morte d'une crise cardiaque avant même que tu me touches. Pratique, question alibi. »

Et malgré la petite grimace, le sourire suivait. Le rire, aussi, mélodieux dans l'air du soir. Tellement volontaire que même elle se surprenait. Comme si soudainement, l'image de la mort même n'avait plus aucune importance. Pas plus que celle des araignées, en fait. En bonne fille, Mi Ae n'avait jamais aimé ces bestioles. Pire, elle préférait abandonner son dortoir à la fautive plutôt que de rester dans la même pièce. Elle l'avait toujours dit : Le pire, ce n'était pas de voir l'araignée. Non, c'était surtout quand on ne la voyait plus que ça devenait terrifiant.

HANA ▬ Plus sérieusement... La femme de mon appartement a perdu son fils hier soir. Il venait lui rendre visite et on l'a méchamment tabassé. Elle l'a appris aux infos ce soir. Tu vois, je pense que la valeur d'une vie est énorme. On peut perdre beaucoup de choses. Quelqu'un de cher, beaucoup d'argent, un bras, se rendre aveugle, on peut même être à deux minutes à de mourir et on se retrouve à encore voir des projet en tête. Et ça m'a fais réaliser à quel point elle peut être courte la vie. Alors passer du temps avec ceux qu'on aime, j'pense que ma place est là... Enfin, toi t'es un cas spécial. Aimer est trop faible comme verbe. »

Puis soudain, le silence. Le discours n'était plus amusant. Au contraire, des images ressortaient. Des rires effacés par le temps. Des pas maladroits vite rattrapés par l'autre. Le bouquet de chrysanthèmes et de lilas blancs qu'elle avait envoyé à la famille pour qu'elle puisse adresser un dernier message à sa meilleure amie avant sa disparition complète. La vie était importante, oui. Hana l'était encore plus. Détournant discrètement les yeux pour mieux cacher la larme qui venait de couler le long de sa joue, l'étudiante se mordilla la lèvre inférieure. L'ombre d'une tombe dressée dans le regard. Que celle qu'elle avait déjà perdu une fois pense à ce genre de chose lui faisait mal. Morceau de glace en plein cœur. Qu'en plus elle lui dise à mots voilés à quel point elle tenait à elle, c'était trop. Trop pour oser la regarder dans les yeux, ou pour trouver les bonnes paroles. La jeune femme ne voulait tout simplement pas y penser. Pas encore, pas tant que les choses ne seraient pas critiques. Et elles ne le seraient jamais, quitte à ne pas lâcher son amie d'une seule semelle de toute sa vie, quitte à se faire tirer dessus à sa place si elle se rendait encore une fois dans ce maudit magasin. Mais elle n'avait jamais été idiote. Elle la connaissait trop bien. Du coup, levant les yeux vers le nom de la boutique devant laquelle la danseuse venait de s'arrêter, Mi Ae fronça les sourcils. Momentanément déconcentrée. Happiness place. C'était une blague ? Voilà tout ce que voulait dire son regard quand elle le reporta sur le visage de sa compagne, commençant à écarquiller les yeux. Une boutique. Elle voulait vraiment qu'elle rentre là-dedans ? Vu la façon dont elle l'entrainait derrière à elle à l'intérieur, oui. Tout ça pour découvrir un bazar assez incroyable d'objets divers, des coussins aux plantes en plastique, des lampes aux rouleaux de tapis.

HANA ▬ Ce soir, faisons quelque chose d'inoubliable.
MI AE ▬ Tu veux cambrioler un magasin pour refaire ta décoration ? »

C'est que l'air de rien, la question se posait. Pas que Mi Ae fut contre l'idée; Aussi bien élevée qu'elle était, la brune était loin d'être la dernière pour faire des folies. Et si ça pouvait pourir la vie de son père, tant mieux. Question de principe. Mais ça restait quand même une idée tellement étrange qu'elle avait du mal à saisir ce qui se passait dans la tête de sa meilleure amie. Pour une fois. Ça faisait décidément trop longtemps.

MI AE ▬ J'allais te proposer de nous promener nues dans les rues de Séoul, mais ça me va aussi. »

Faire un peu d'humour, il n'y avait rien de mieux pour ne pas stresser en regardant un couvre-lit bleu décoré d'énormes fleurs roses. Il y avait des limites au bon goût. A son courage aussi, en fait, parce qu'à sentir sa main se crisper, on pouvait clairement comprendre que Mi Ae était dingue de shopping.

HANA ▬ Non, t'y es toujours pas ~ ... Quoi que tu vois, ça aurait pu être marrant.
MI AE ▬ Hum ? »

Des idées folles, venant d'Hana, c'était toujours un évènement. Quelque chose que sa meilleure amie n'aurait raté pour rien au monde, surtout pas avec son habitude de se rebeller contre le système juste pour s'amuser. Ce qu'elle pouvait avoir dans la tête ? Les yeux plissés tandis qu'elle observait le magasin autour d'elles, Mi Ae pencha légèrement la tête de côté. Si ce n'était pas cambrioler le magasin, c'était forcément plus précis. Du coup, c'est dans un automatisme tout naturel qu'elle lâcha que le cambriolage ne la dérangeait pas.

HANA ▬ On pourra toujours remettre ça. »

Sensible à cet humour de dérision qu'elles avaient toujours autant partagé qu'un plus noir, la brune lâcha un petit rire léger tout en reportant son intérêt sur les mouvements d'Hana. Prendre un panier et y glisser des guirlandes ? Là, ça devenait sérieux. La blonde n'était pas du genre à faire les boutiques pour préparer une fête, aussi ne restaient plus beaucoup de choix dans ce qu'elle se préparait à faire. Et de fait, l'explication arriva à la vitesse grand V, arrachant un nouveau rire cristallin à la froide photographe.

HANA ▬ On redécore Séoul ce soir ~ Bon, on risque peut être de se faire arrêter, mais on pourra toujours se trouver quelque chose comme ; "Hu ? Ce n'est pas la résidence de tante Chan Rin ?"
MI AE ▬ Oh, cette tante-là ! C'est vrai que j'ai encore oublié où elle habite. Quelle idée de nous envoyer la voir si peu souvent aussi ! Tu as raison, elle a bien besoin qu'on lui remonte le moral de quelques couleurs. La pauvre, elle a l'air si triste depuis quelques jours. »

Comment ça, c'était choquant de voir une fille comme elle se prendre au jeu aussi facilement ? Dans un nouveau gloussement incontrôlable, Mi Ae s'empara aussitôt d'un tas de boules de noël bleues et argentées qu'elle glissa dans le panier, échangeant au passage un regard malicieux avec sa complice. Oui, Séoul était triste dernièrement. Tellement différente de la capitale qu'elle avait connu ces dernières années, de plus en plus vivante et lumineuse. Oui, le futur était lumineux. Et tout à la fois, si sombre sans elle pour l'éclairer. Hana était la seule décoration dont la rue avait besoin. Ce qui n'empêcha pas la demoiselle de bonne famille de glisser quelques nains de jardins et des statuettes de fantômes dans le tas déjà conséquent des objets qu'elles emportaient. Quitte à refaire le monde, autant le rendre original, non ? Mélanger les couleurs, les styles, les époques et les fêtes. Se créer un espace où rien ne pourrait plus les troubler. Jamais.

HANA ▬ Tu trouves ton bonheur ?
MI AE ▬ Mon bonheur, c'est toi. » Esquissant un sourire gêné, peu habituée à exposer si clairement ses sentiments, la brune s'éclaircit la gorge avant de reprendre la parole. « Mais de manière concrète, oui. Qu'ils nous arrêtent si ils le veulent, nous allons recréer le Wonderland de Caroll et... »

Exposant triomphalement un haut-parleur de main, Mi Ae adressa à Hana son plus beau sourire avant de l'empiler avec le reste de leurs trouvailles. Deux enfants innocentes en pleine chasse au trésor, voilà ce qu'elles étaient. Et ce trésor n'était rien de plus que le bonheur. La paix. L'amour. Rien de moins, non plus.

MI AE ▬ Personne dans Séoul ne va l'ignorer. Offrons la folie aux Hommes comme Prométhée leur a offert le feu autrefois ! »

Qu'est-ce que le bonheur ? Est-ce que ça se touche ? Est-ce que c'est rond ? Est-ce que ça se mange ? Longtemps, je me suis posé des questions de ce genre. Et puis, j'ai su ce que c'était. Le bonheur, du moins mon bonheur à moi ; c'est être avec les gens que j'aime, c'est rire, c'est sourire, c'est faire sourire les gens que j'aime, c'est m'amuser, c'est collectionner les bons souvenirs, c'est vivre et se réveiller avec eux. C'est ça mon bonheur. Et si les personnes qui cherchent désespérément le bonheur réfléchissent trop, ils ne trouveront pas alors que c'est tout près. Le bonheur, on ne le voit pas passer. On vit des choses qu'on trouve tellement banales, et elles se trouvent être tout simplement énormes, mais on ne s'en rend pas compte. Alors quand Mi Ae me dit que c'est moi son bonheur, je souris mais suis un peu surprise. Parce que c'était inattendu et rare. Rare qu'elle dise ça sur un ton sérieux. Cet atmosphère étrange n'est présente que quelques fractions de secondes. Le temps que celle-ci s’éclaircisse la gorge et que tout revienne à la normale. Entre temps, je glisse un faible et inaudible ;


Hana - Moi mon bonheur, c'est nous.


Parce que sans elle, je ne suis rien. Plus grand chose du moins. Une Hana perdue dans Séoul, qui cherche une direction qu'elle ne connait pas. Une Hana déprimée, repoussante. Une Hana qui n'aime personne. Une Hana qui n'a plus de raison de vivre. Si je la perdais, ce serait ça, ma vie ; elle n'aurait plus de sens. Sa voix me sort de mes songes et me ramène à la réalité. La réalité, c'est que je suis avec elle, 'voyez ? Et ça me conviens. Nous marchons dans un rayon, et la vision de ma Mi Ae avec un haut parleur dans la main me fait légèrement rire. Oui, ce soir, tout va aller bien. Ce soir, on s'amusera à décorer une partie de Séoul et peut être qu'on se fera arrêter, mais au pire, on s'en fiche ? J'ai besoin de respirer. Je ne me sentais plus respirer... Je regarde Mi Ae un instant et finit de remplir mon panier.


Hana - On va rendre Séoul plus joyeux et beau ce soir... Tant pis si ça disparait dans une semaine, la magie aura existé un petit moment... Prête ?


Oui, cette semaine j'ai besoin d'air, un grand bol d'air. Parce que j'ai cette impression de vide, cette impression mauvaise. Et j'ai besoin d'être avec elle un peu plus. Peur de perdre Mi Ae ? Tout le temps. Parfois, j'ai peur de me réveiller et tomber sur son répondeur quarante fois à la suite. J'ai peur qu'elle ne réponde plus à mes appels, que son dortoir ait prit feu, que son dortoir disparaisse. Qu'elle... Qu'elle disparaisse avec, 'voyez ? J'ai peur que sur nos photos, il ne reste plus que moi. J'ai peur de tomber sur quelqu'un d'autre en l'appelant, j'ai peur qu'elle ait déménagé sans prévenir. J'ai peur de me réveiller dans un monde sans Mi Ae. Parfois, il m'arrive de faire ce cauchemars. Et j'ai besoin de me rassurer, j'ai besoin d'être avec elle parce que c'est presque vital si ce n'est pas déjà le cas 'voyez ? J'ai besoin de Mi Ae parce qu'elle constitue mon bonheur et que sans elle, plus rien n'est. Mon monde s'écroulerait.