black and blue ♣ mi ae & jae wook

Le trajet en bateau s'était plutôt bien déroulé. Il avait réussi à combattre son horrible mal de mer habituel, et rien de particulièrement embêtant ne lui était arrivé; il n'avait rougi qu'au moment d'aller réclamer son kimono, puisqu'il n'avait eu à affronter personne d'autre en particulier. Il avait grandement apprécié sa tranquillité, assis seul sur un banc plutôt reculé, sa guitare à ses pieds. Jae Wook avait observé le soleil descendre lentement à l'horizon, teintant le ciel de jolies couleurs pastel, pris quelques clichés comme un peu tout le monde, et prit part au début des célébrations de façon plutôt absente, ayant uniquement suivi la foule pour ne pas à nouveau qu'on lui colle l'étiquette de l'antisocial de service et qu'on le délaisse pour le reste des célébrations. Il aurait certes peut-être dû fournir plus d'efforts pour avoir au moins l'air de s'amuser comme un petit fou; seulement, il n'avait pas envie, pas ce soir. Il était fatigué, le stress lui avait bouffé pas mal de son énergie, et il n'aspirait plus qu'à une chose; se rendre à la chambre, se jeter sous la douche puis disparaître sous les draps et récupérer pour le lendemain, qui était tout de même assez chargé pour le jeune guitariste.

La fête qu'on avait organisée apparemment avec grand soin était plutôt divertissante, et bien qu'il ne s'ennuyait pas du tout, les raisons évoquées précédemment le poussèrent à s'éclipser assez tôt, profitant également du fait qu'à cette heure, la chambre serait encore vide; bien qu'il ne connaissait pas du tout la troisième colocataire, il pouvait avancer que Soobin, et surtout Changmin ne seraient pas de retour avant les petites heures du matin; il ne devait être que minuit, tout au plus. Son départ ne fut, comme il s'en doutait bien, pas du tout remarqué, et il put donc se rendre à l'hôtel dont plusieurs chambres avaient été réservées pour les élèves des deux universités. Le bâtiment était immense, et Wookie s'arrêta quelques instants devant pour l'observer dans toute sa splendeur. Il avait avant son départ révisé quelques phrases de base en japonais, et réussit sans trop de difficulté à obtenir les clés, bien qu'il ne pigea pas un traitre mot de ce que la réceptionniste lui déblatéra. Même si la chambre se trouvait à un étage plutôt respectable, il préféra utiliser l'escalier; de toute façon, ses bagages étaient déjà en haut.

Comme espéré, la titanesque chambre était toujours vide, et le guitariste se permit de choisir son lit, soit le plus reculé de tous, bien sûr. Après avoir traîné ses valises et son instrument plus près de son lieu de repos, il s'y assis quelques minutes, détaillant la chambre avec un certain ébahissement. Bon sang, c'est qu'on avait pas du tout lésiné sur le luxe! C'était superbe, beaucoup mieux que tout ce qu'il avait pu imaginer... Et la salle de bain, elle était... Indescriptible. Il s'y dirigea d'ailleurs, se débarrassant de l'habit traditionnel non sans un certain soulagement, pour finalement ouvrir l'eau de la douche et y entrer, après avoir attendu qu'elle réchauffe un peu. L'eau lui fit le plus grand bien, et c'est beaucoup plus détendu qu'à son arrivé qu'il se glissa sous les draps, après avoir enfilé un pyjama attrapé au hasard dans ses sacs, puis éteint la lumière. Tirant comme à son habitude les étoffes jusqu'au dessus de sa tête, il cala celle-ci dans l'un des confortables oreillers, fermant les yeux.

Le sommeil le bouda pourtant, lui qui se sentait si épuisé une heure plus tôt. Il se retourna quelques fois dans son lit, sans succès; Morphée refusa catégoriquement de l'accueillir. Dans un soupir qui fut à la fois grommellement, il repoussa tout ce qui le couvrait et ralluma, pour se diriger d'un pas traînant vers le petit tas que formaient ses biens au pied de son lit, en tassant quelques uns pour finalement se mettre à fouiller dans le plus gros. Il dénicha bien vite son trésor, et sauta à nouveau sur son lit, s'y essayant cependant. Jae Wook ouvrit donc son butin, qui se révéla être le journal avec qui il correspondait avec une demoiselle qu'il ne connaissait pas le moindre du monde, exception faite de ce qu'elle lui avait révélé sur les lignes qu'elle avait écrites. Sans doute aurait-il dû attendre à la fin du voyage pour entamer sa prochaine réponse; seulement, il avait soudainement envie d'écrire, et commença donc à griffonner maladroitement, raturant certaines parties qu'il n'aimait pas, comme à son habitude.

Cette fête... Une soirée de plus. Une soirée de trop. En plus d'avoir réussi à perdre Hana, Dieu seul sait comment, la brune n'était pas du genre à apprécier ce type de réjouissances. Trop de souvenirs de pseudo-perfection dans la tête, sans doute. Du coup, sans plus de manières, elle s'était éclipsée. Pareille au soleil passant derrière la lune, ou jouant les Cinderella dès que minuit avait sonné, sans pour autant laisser de chaussure derrière elle. Qu'un prince charmant la ramasse ? Très peu pour elle. Mi Ae aurait bien été capable d'assommer le cœur tendre avec sa geta juste par peur qu'il ose la demander en mariage pour une raison aussi ridicule. Bref, tout ça pour dire que la demoiselle en avait tout simplement eut assez. Trop de sociabilité en une journée avait le don de la fatiguer. Trop de joie aussi, d'une certaine façon. D'autant qu'elle avait apprit entre temps que Soo Bin serait dans sa chambre, ce qui annonçait des nuits pour le moins mouvementées; Raison de plus pour profiter de cette nuit-ci, sachant qu'elle ne rentrerait pas à l'hôtel avant un bon moment. Hôtel qui, bien entendu, était aussi beau que le promettait la brochure. A tel point que la coréenne ne prit même pas la peine de s'arrêter pour observer la façade. Trop de luxe dans toute sa vie pour réellement s'en soucier. Non, là où ses pas durent la bloquer net, ce fut à la réception. Son père parlait le japonais à la perfection. Elle... Disons qu'elle savait bégayer un mot sur deux dans une phrase, et encore. Définitivement, la barrière de la langue risquait d'être la partie amusante du voyage. Heureusement pour sa vie et sa patience, l'étudiante avait réussi à obtenir les clefs au bout de dix minutes. Oui, vous avez bien lu. Tout ça. Heureusement qu'elle avait pensé à aborder le sujet en anglais, sinon elle aurait été bonne pour dormir dans le hall.

Ceci dit, la belle vota pour les escaliers. Histoire d'être certaine d'être fatiguée au point de s'écrouler sur son lit dès qu'elle arriverait à la chambre. D'un autre côté, n'étant pas particulièrement masochiste, elle avait déjà retiré ses getas, préférant de loin les avoir dans les mains plus que de monter tous les étages en manquant de rencontrer le sol de trop près à son goût. De fait, la montée fut pénible, ne serait-ce que le temps à ses jambes de s'habituer à nouveau à une marche normale, et c'est à peine si elle remarqua que la lumière était déjà allumée dans la pièce quand elle y pénétra, trop occupée à s'acharner du bout de ses doigts libres sur son obi. Bon sang, qui avait eut l'idée des kimonos ? On se le demandait. D'ailleurs, celui qui la regardait devait sans doute se poser la même question. Stoppée dans son mouvement, l'apprentie photographe cligna plusieurs fois des yeux en observant l'unique occupant de la pièce, sagement installé sur son lit, un journal ouvert devant lui.

MI AE ▬ Hum... »

Ça, c'était parlant. Presque autant que sa main qui remontait pour vaguement frotter ses yeux. A croire qu'elle n'était pas sûre de bien voir. Un peu trop d'alcool, peut-être ? Non, elle avait à peine trempé ses lèvres dans un verre discrètement rempli par un élève inconnu avant de le reposer pour se mettre au jus d'orange. Conclusion : Il y avait bien un homme dans la pièce, devant lequel elle se tenait, chaussures en main et obi à moitié défait. Excellent. L'air de rien, la belle inclina la tête pour saluer l'occupant, puis s'approcha de sa valise pour la trainer jusqu'à un lit libre - En l'occurrence, celui faisant face au coréen, pour la simple et bonne raison que c'était le second plus éloigné de la pièce. Pas folle la guêpe. Et de s'asseoir posément sur le matelas après avoir posé ses getas au sol, frôlant le tissu frais du bout des doigts tandis qu'elle lançait quelques regards à l'inconnu. Sa tête lui disait quelque chose. Le musicien courageux sur le quai ? Au vu de l'étui au pied du lit, oui. Et là, quelque chose fit tilt, la poussant à ouvrir la bouche puis à la refermer tandis qu'elle fixait intensément le journal bleuté qu'il tenait entre ses mains. Son journal, en fait.

MI AE ▬ Cher journal secret... »

Le ton était étrange. La courte phrase à peine murmurée du bout des lèvres. Et pourtant, ça avait son importance. Parce que c'était la phrase rituelle qu'elle mettait à chaque début d'entrée sur ces pages. Parce qu'il y avait de grandes chances qu'elle se tienne juste en face de celui qui en savait plus sur elle que bien des personnes de sa connaissance. Sa peur de se rapprocher des gens pour finalement les perdre. Le fait qu'elle détestait le chocolat, contrairement à beaucoup de personnes. Que la dernière fois qu'elle avait bu de l'alcool, elle s'était réveillée sans aucun souvenir de la soirée précédente. Un tas de choses, en fait. Pas forcément les plus importantes, mais assez pour leur avoir offert une place sur le papier.

MI AE ▬ ... Est-ce que tu vas encore raturer un tas de lignes... ? »

Sagement assise sur le lit, mains posées autour de son corps frêle, Mi Ae l'observait. Cet inconnu qui n'en était pas tout à fait un. Curieuse, elle ne pouvait pas s'empêcher de l'observer, de graver chaque trait de son visage dans son esprit, de caresser du regard ses yeux veloutés et sa mâchoire légèrement crispée par le stress. D'habitude, elle n'aurait pas fait ça. Pire, elle se serait contenté de son onomatopée de départ avant de l'ignorer royalement pour aller occuper la salle de bain directement. Au fond, que ce soit un homme ou non ne changeait rien, sinon qu'elle n'allait pas retirer son kimono devant lui, quand bien même celui-ci devenait franchement inconfortable. En vérité, elle ne l'avait pas imaginé comme ça, loin de là. Sans doute plus petit, les cheveux moins sombres, un visage moins dur. Moins silencieux peut-être, bien que son écriture serrée et raturée lui avait laissé entendre assez facilement qu'elle avait affaire à quelqu'un de beaucoup plus renfermé qu'elle. Pourtant, malgré ça et le rouge qui lui colorait maintenant joyeusement les joues, il était... Beau. Pire, il était fascinant. Il ne ressemblait pas à tous ces hommes qu'elle voyait défiler devant elle dans l'espoir de s'attirer les bonnes faveurs de son père, il avait quelque chose de plus. Quelque chose qui la poussait à ne pas détourner le regard quand lui évitait résolument de la regarder en face. Amusant, alors qu'il y avait pas mal de chances pour qu'il la dépasse d'une tête, sinon de deux. Il semblait peut-être légèrement... Paniqué ? Sincèrement, la brune ne savait pas trop quoi en penser. Devait-elle pousser la conversation plus loin ? Tenter de dépasser le stade de l'écriture ? D'une certaine façon, c'était gênant. Il en savait tellement. Jusque là, il n'y avait que son visage qu'il ignorait, et le fait qu'elle soit revenue dans le passé. Tout le reste, de son enfance brimée à son besoin de protéger ceux qu'elle aimait, quitte à mourir pour eux, il le savait. Hors, à part Hana, jamais personne n'avait été aussi proche de sa véritable personnalité. Et à bien y réfléchir, ce journal n'avait pas été secrètement échangé jusque là dans le seul but de s'amuser. Non, elle avait voulu correspondre avec un inconnu, pour ne pas se sentir jugée. Pour ne pas risquer de perdre sa contenance. D'un coup, toutes ces pensées lui revenaient à l'esprit, la poussant à rosir légèrement à son tour. Comme le hasard faisait bien les choses. Ou la destinée, les coïncidences, le mystère de la vie, peu importait comment on voulait nommer ça.

JAE WOOK ▬ Euhm, ou... Oui... Sans, sans doute. »

Petit à petit, sous l'effet du rire nerveux sans doute, le cœur de la coréenne se mit à battre la chamade. A partir de cet instant, elle aurait pu l'accompagner puis retomber dans le silence afin de conserver cette relation secrète. Ne pas s'impliquer davantage. Elle aurait put le faire, si cet inconnu qui ne l'était pas vraiment n'avait pas éveillé sa curiosité et tous ses sentiments soigneusement cachés. Si il avait juste fait mine de dire que ce journal n'était pas celui qu'elle croyait. Reprenant sa respiration en se rendant tout juste compte qu'elle l'avait retenue en attendant qu'il réponde, l'étudiante porta une main à ses cheveux et défit sa queue de cheval, faisant chanter doucement la clochette accrochée dans ses cheveux. Lorsqu'elle se releva en secouant la tête pour permettre à ses longues boucles de retomber autour de son visage, ce fut pour s'approcher du lit de son compagnon de chambre. Lentement. Très lentement, même. Comme un animal méfiant, ou comme l'humain approchant une proie acculée. Se positionnant le plus loin possible de lui tout en gardant un œil sur la page qu'il écrivait avant son arrivée, la belle haussa doucement un sourcil.

MI AE ▬ Tu ne devrais pas faire ça... Tout ce que tu écris, sans exception, fait partie de ta personne, et j'aimerai... »

Se faisant sursauter elle-même en réalisant qu'elle venait de prononcer plus de trois mots dans la même phrase, l'apprentie photographe fit demi-tour pour aller se positionner au centre de la pièce, les joues complètement rouges. Ce fut dans un souffle seulement qu'elle termina, un murmure destiné à elle-même, de ceux qu'on ne peut prononcer en regardant dans les yeux.

MI AE ▬ ... Tout savoir... »

Presque aussitôt, à croire qu'elle prenait la fuite, la demoiselle marmonna quelques mots qui devaient sans doute s'apparenter à un 'J'occupe la salle de bain, n'approches pas.' et fonça vers la pièce attenante en question, refermant la porte pour mieux s'y appuyer. Ce n'était absolument pas ce qu'elle voulait dire. Pour une première, ça portait un peu trop à confusion. Mais quelle idée aussi d'avoir abordé le sujet d'entrée de jeu, sans même être certaine que c'était bien lui ? Tapant nerveusement son talon sur les pavés de la salle de bain, la jeune femme se retourna face à la porte, continuant à marmonner de jolis noms d'oiseaux à sa propre intention alors qu'elle avait reprit le travail fastidieux de dénouer son obi. Récalcitrant, le machin. A tel point qu'elle rouvrit la porte deux minutes plus tard, passant la tête par l'ouverture pour regarder discrètement le brun avec un air un peu tendu.

MI AE ▬ Euh... Est-ce que tu sais comment on défait... Un obi... ? »

Pour se sentir chuter six pieds sous terre, aucun doute qu'elle n'avait pas trouvé mieux. C'est à peine si le bout de son nez dépassait le chambranle de la porte, juste au-dessus de ses mains soigneusement accrochées là, comme si elle avait eut absolument besoin de quelque chose pour ne pas lui faire perdre pied. C'est que l'air de rien, lui demander de façon subtile de lui retirer sa ceinture, c'était presque pire que de lui confier tout le reste.

Lui demander ou ne pas lui demander, telle était la question. Après tout, c'était presque comme de lui donner l'autorisation expresse de la déshabiller sur place, ce qui était... Gênant ? Non, même ce mot était trop faible pour exprimer ça. D'accord, sur le plan technique, Mi Ae n'était plus une pucelle depuis peu, mais dans la pratique, ça devait faire... Non, même pas la peine de compter, depuis la mort de Sei Hwan et celle d'Hana, pas une seule personne n'avait eut le plaisir de la toucher. Ni du regard comme le coréen l'avait timidement fait, ni du bout des doigts, et encore moins jusqu'à l'aider à se dénuder. Le reste, n'en parlons même pas. Hors donc, elle réagissait exactement comme si elle n'avait jamais eut affaire à un homme de toute sa vie, se contentant de le regarder avec une certaine peur dans le regard alors qu'elle lui posait la question fatidique sur laquelle le reste de la soirée risquait de se reposer.

JAE WOOK ▬ Je euhm, je... Enfin, oui. »

Et c'était un non ! Ouf. Euh, attendez ? Sortant entièrement un visage surpris de derrière le chambranle, la brune ne put s'empêcher d'ouvrir grands ses yeux mordorés. Il savait dénouer un obi. Il pouvait la débarrasser de cette horreur qui l'empêchait de respirer depuis au moins deux heures. Lentement, d'un pas plus qu'hésitant, la belle s'approcha du lit, s'arrêtant à distance respectueuse. Au moins, sa bouche c'était refermée, ne laissant qu'un pli de réflexion au centre de son front, coupant la perfection de la poupée tandis qu'elle se mordillait sensuellement la lèvre inférieure. Ce n'était pas comme si la suite des évènements n'était pas logique, loin de là. Mais il fallait trouver les bons mots pour exposer la vérité sous toutes ses coutures, cette tendre vérité qui l'avait aidée à retrouver son adorable rougissement. Dire que le rouge lui allait si bien. Passant nerveusement une main dans ses cheveux, faisant tinter la clochette maintenant enroulée autour de son poignet, l'apprentie photographe ouvrit la bouche... Puis la referma. D'habitude, un léger sarcasme sur la rapidité d'un homme à s'atteler à la tâche aurait parfaitement convenu. Face à lui, toutefois, ce n'était pas pareil. Il l'avait observée, mais pas de ce type de regard qu'on offre à sa future proie. Il l'avait observée comme une œuvre d'art délicate, fragile... De fait, il savait à quel point elle l'était en réalité, ce qui lui faisait prendre conscience que son colocataire n'était pas comme les autres. Absolument pas comme les autres. Aussi esquissa-t-elle un sourire timide, se rapprochant à nouveau pour s'installer à genoux sur le lit, dos à lui.

MI AE ▬ ... Alors est-ce que tu pourrais... M'aider... ? J'arrive à peine à respirer, et je crois que j'ai plus tout tordu que tout défait... »

Dans une tentative de se détendre, et de le détendre également, la brune lâcha un petit rire hésitant. Pas franchement hystérique, mais assez bizarre pour qu'on comprenne qu'ils étaient deux à être particulièrement mal à l'aise. Et d'ailleurs, puisqu'on abordait ce point...

MI AE ▬ Je... Je ne te l'ai jamais demandé, mais... Comment... Est-ce que tu t'appelles ? »

Pas du tout troublée, ni même gênée par la difficulté flagrante de son compagnon à s'exprimer, la demoiselle tourna la tête de côté pour être en mesure de lui jeter un coup d'œil. Pour être sûre qu'il ne paniquait pas trop, ni qu'il allait sauter d'une fenêtre dans une seconde. Inquiète ? Quand même, un petit peu. Malgré sa propre panique, elle ne voulait en aucun cas accentuer la sienne à un point de non retour et était prête à bondir en avant pour s'éloigner de lui si il le fallait pour qu'il y survive. C'était idiot quand même, cette soudaine envie de protéger un étranger - qu'elle affectionnait malgré tout d'une étrange manière - d'elle-même. A ce rythme, elle pouvait se mettre un panneau indiquant : Attention, danger, cette fille porte malheur, ne tentez surtout pas de vous rapprocher d'elle.

MI AE ▬ Enfin, tu n'es pas obligé de me le dire. Si tu préfères qu'on reste... Des étrangers... Qu'on... Je veux dire, je peux accepter ton choix. »

Lâcha-t-elle sur un ton visiblement plus assuré que précédemment tandis qu'elle dirigeait de nouveau son visage vers le centre de la pièce. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que des larmes pointes le bout de leur nez juste à l'idée qu'il puisse préférer oublier cette rencontre ?

Disparaître, il voulait s'enfouir sous les couvertures de ce lit et ne jamais en ressortir; il avait renoncé à soutenir le regard de sa colocataire, et, à défaut d'avoir encore le journal entre les mains, c'est celles-ci qu'il fixait soudainement avec un grand intérêt. Quelle ridicule réaction, encore une fois... Et puis, quelle idée surtout d'avoir avoué qu'il pouvait en effet défaire un de ces fichus obis! Il ignorait pourquoi la question avait été posée, mais ça n'augurait rien de très bon. Sans doute allait-elle lui demander en rigolant qu'est-ce que ça foutait dans ses capacités. Ou alors elle n'allait rien lui demander du tout et se moquer de lui, oui. Au moins, il n'aurait pas à parler de nouveau. Tête baissée, comme à son habitude, il n'avait pas vu la tête à la fois surprise et horrifiée que la demoiselle venait de tirer, et ne se rendit compte qu'elle s'approchait à nouveau que lorsqu'il vit apparaître deux petits pieds dans son champ de vision restreint. Attendez, comment elle avait fait? Son pauvre chat, que Chang Min détestait, faisait plus de bruit qu'elle... À croire qu'elle ne marchait pas vraiment. À nouveau, tout juste calmé de son affolement, son coeur s'emballa; il ne broncha cependant pas, attendant de savoir ce qu'elle désirait. Et puis, comme la prise deux d'une scène ratée, elle revint s'installer sur son lit; il n'eut d'autre choix que de jeter au coup d'oeil, pour la voir à genoux, lui tournant le dos.

Lorsque finalement, après une hésitation marqué, on l'entendit s'exprimer, on aurait presque pu comparer le pauvre Jae Wook à un poisson; les deux yeux grands ouverts, il ouvrit et referma la bouche pendant de longue secondes, surpris et déconcerté par la demande. C'est en bégayant qu'il bafouilla un misérable "d'accord"... En avait-il vraiment le choix? Et donc, lentement, très lentement, il s'approcha de la jeune femme, ignorant si il allait perdre connaissance ou si sa tête allait exploser, ayant atteint des sommets encore inégalés en tons de rouge. Se forçant à respirer, ses dents s'étant violemment attaquées à l'intérieur de ses joues, il se retrouva lui aussi à genoux derrière la jeune femme, fixant l'obi récalcitrant tout en se demandant si la situation aurait pu être encore pire. Wookie prit quelques silencieuses minutes à étirer ses mains tremblantes vers le tissu coloré, tentant de ne pas effectuer quelconque geste brusque. Elle l'avait en effet plutôt bien tordu; le guitariste avant devant lui un schéma digne des grands amateurs de puzzle. Guettant les réactions de la jeune femme grâce à de nerveux coups d'oeil, il déplaça ses doigts maladroits contre le dos de sa correspondante pour trouver quelconque issue. Une autre question fusa, question à laquelle il s'attendait quelque peu; comment il s’appelait. Il ignorait également le prénom de celle qui se tenait devant lui, et à vrai dire, il avait envie, vraiment, de le connaître. La justice était sans doute de lui révéler le sien en retour, mais comme il allait prendre la parole, elle rajouta une phrase qui l'attrista quelque peu. Son attitude jusqu'à maintenant lui laissait sans doute penser qu'il préférait le contact écrit; ce n'était pas du tout ce qu'il voulait laisser paraître.

- Non, c'est pas... C'est pas ce que... Je suis Jae Wook.

La fin avait le mérite d'être claire, tiens. Après quelques instants d'hésitation, il ajouta:

- Et... Et toi?

La bande de tissu refusait toujours de se dénouer, et il risquait de l'étouffer encore plus s'il continuait ainsi. Son regard sombre se remit à examiner la façon dont tout ça était enchevêtré... Et se retrouva dans la pire situation qu'il aie jamais vécu, ses deux vies confondues. Ayant eu la pauvre idée de s'installer à genoux tout en sachant que ce n'était pas très stable, il voulu déplacer un peu sa main pour chercher l'extrémité de la bande de tissus... Et, déséquilibré, tomba vers la jeune femme, s'accrochant - ses réflexes soient maudits - à ce qu'il y avait de plus proches, entourant donc la taille de cette dernière, pour ainsi se retrouver dans une position fort troublante. Mettant quelques secondes à réaliser la proximité, il tira une tête presque horrifiée, se retirant maladroitement de contre la jeune femme. Au moins, il avait trouvé le bout de tissu, tiens...

- Dé... Désolé, je...

C'était... Gênant. Et Dieu sait qu'il n'y avait pas grand chose pour mettre Mi Ae dans cet état. Ces lumières tamisées dans les hôtels de luxe, le tissu doux sous ses doigts serrés, la présence dans son dos... Tout la mettait mal à l'aise. Amenait ses mains à trembler légèrement, presque malgré elle. Seuls ses pieds, sagement croisés sous ses jambes, n'étaient pas agités du tremblement des feuilles d'automne. Alors que son confident n'avait rien de dangereux, elle réagissait comme une enfant qui découvre que son cœur bat. D'une certaine façon émerveillée par ce miracle de la nature, et de l'autre inquiète de ressentir des émotions de ce type après autant d'années à avoir tenté d'inscrire son nom sur le carnet de bal de la mort. A croire qu'un geste aurait put la briser. Un simple souffle de vent sur sa peau. Dans un réflexe plus pratique qu'autre chose, la jeune fille glissa un bras dans sa nuque pour ramener sa longue chevelure sur le devant d'une épaule à moitié dénudée puis frissonna au premier contact avec son colocataire. La barrière était franchie. Il n'était plus une simple ligne de texte dans un journal. Il s'éloignait du visage qu'on peut oublier au bout d'une heure. Son contact chaud, plus que toute autre chose, un peu incertain, les reliait maintenant comme le fil rouge du destin. Secouant discrètement la tête pour tenter de remettre ses idées à leur place, la soi-disant intouchable se décida enfin à parler, saisissant la première question qui lui traversa l'esprit. Son nom. Sauf erreur, elle faisait exactement tout le contraire de ce qu'elle voulait. Après ça, ce serait impossible de l'oublier. De ne pas s'attacher, de ne pas se retourner, de ne pas craindre pour lui dans un silence secret. A l'heure actuelle, qui se résumait à quelques secondes écoulées seulement, la brune lâcha une autre bourde, de celles qui permettaient de se détacher avec froideur d'un sentiment trop insistant. Après tout, muet comme il l'était, sans doute était-ce pour le mieux. Pour tout les deux. Ou... Pas ? L'apprentie photographe se mordilla nerveusement la lèvre inférieure. Espérant un oui, alors que la logique voulait un non.

JAE WOOK ▬ Non, c'est pas... C'est pas ce que... Je suis Jae Wook. »

Pour le coup, elle en manqua presque de défaillir, sentant les battements de son cœur s'intensifier pour mieux envahir ses oreilles. Son corps entier, même. Il avait dit son prénom, annoncé sans le dire qu'il ne désirait pas la voir partir. Pas tout de suite, pas comme ça. Elle tourna lentement la tête sur le côté qui n'était pas encombré par la cascade soyeuse de ses cheveux pour tenter d'apercevoir le visage de son vis-à-vis derrière elle. Peine perdue, son champ de vision ne lui permettait que d'entrevoir une ombre, de percevoir un souffle légèrement saccadé.

JAE WOOK ▬ Et... Et toi ?
MI AE ▬ Mi... Ae... » Lâcha-t-elle dans un souffle. « Hwang Mi Ae. »

Comme si le répéter pouvait donner de la substance à son nom, mettre fin à cette distance qu'elle avait été tentée de mettre entre eux. Elle n'avait pourtant jamais existé, le journal posé plus loin en témoignait, et... Et elle commençait à étouffer. Lâchant un petit toussotement en rentrant un peu le ventre pour tenter d'échapper à la prise de cet objet de torture que les japonais avaient inventés, la Mi Ae en question ne sentit rien venir. Ou plutôt, ce qu'elle sentit et ressentit lui coupa net la respiration, réglant tout problème pendant un instant momentané qui la poussa à baisser les yeux pour regarder les bras agrippés autour de son corps fin, lui-même balancé par-dessus bord et retenu par le seul réflexe qu'elle avait eut : Poser les mains au sol. Originale, comme approche. Celle-ci, on ne la lui avait jamais faites. Et ce genre de contact datait d'il y avait tellement longtemps... Sans parler du fait qu'elle les évitait comme la peste depuis le début de sa nouvelle vie... Dès qu'il écarta son corps chaud d'elle, la jeune fille se redressa, laissant ses cheveux voler autour de son visage pour mieux s'y poser pendant qu'elle se retournait de moitié, son regard alternant entre le bout de tissu dans la main de Jae Wook et son visage rouge vif. Sans doute la même couleur que le sien, d'ailleurs.

JAE WOOK ▬ Dé... Désolé, je...
MI AE ▬ J-Je... Je... »

Personne n'en aurait douté, la discussion était passionnante. La façon qu'ils avaient de se concurrencer en matière de rougissement n'était pas triste non plus, et ce n'est qu'au bout de quelques secondes que la belle coréenne arriva enfin à plonger ses yeux mordorés dans ceux d'un noir d'encre de son vis-à-vis. Dans le même mouvement, la pulpe rosée de sa bouche s'ouvrit pour prononcer quelque chose d'autre, sauf que... Rien. Rien ne venait. Du coup, sans plus de manières, la prétendue fille de bonne famille récupéra l'extrémité de la bande de tissu de la main du brun et se releva dans un même mouvement, virant de plus en plus à l'écrevisse après lui avoir frôlé la main. Est-il utile de préciser la suite ? En voulant prendre la fuite jusqu'à la salle de bain, l'étudiante se prit enfin les pieds dans sa traine et s'étala de tout son long en poussant un gémissement. Eh bien, on pouvait dire qu'ils n'en manquaient pas une.

La position ? Très confortable, merci. Le lourd tapis persan amortissait bien la chute... Quand on pesait plus qu'un poids plume. Et puis ce n'était pas comme si elle s'était cogné le menton à terre non plus. D'ailleurs, sa cheville ne l'élançait pas furieusement, et Mi Ae n'avait pas eut le bon goût de devenir encore plus rouge que précédemment en sentant le kimono se soulever de quelques centimètres sur ses jambes. Non, du tout. Tout était parfait. Idyllique, même, si on considérait qu'elle devait arborer un air idiot au possible qui ne lui était pas coutumier. Dieu merci, Soo Bin n'était pas dans le coin. La connaissant, elle aurait éclaté de rire. Mieux, elle aurait tenté de la rassurer en lui sortant qu'il lui arrivait souvent des aventures semblables. Avec le regard d'un homme posé sur elle en supplément ? A voir. Malgré elle, il fallut qu'elle jette un regard vers ce dernier. Juste pour s'assurer qu'il faisait mine de l'ignorer. Qu'il... Ne se levait pas pour lui venir en aide. La brune ne percuta que lorsque la main chaude de son colocataire se posa sur son épaule, la forme de sa paume adoptant à la perfection la forme délicate de son corps. Si chaude, alors qu'elle avait l'impression d'être si froide en comparaison. Et son regard, ce regard qui aurait put sembler si meurtrier si il n'y avait eut cette douce étincelle d'inquiétude envers son état. Un frisson traversa son corps. Entre la répulsion du contact et... Quelque chose d'autre. Un sentiment de calme qu'elle éprouvait rarement en étant touchée, encore plus par quelqu'un de l'autre sexe. Comme une espèce de plaisir honteux, de reconnaissance à l'idée que quelqu'un se soucie d'elle.

JAE WOOK ▬ Ça... Ça va ?
MI AE ▬ Je... »

Nerveuse, la photographe lâcha un petit rire discret. Ignorance suprême qu'elle ressentait entre l'envie de rire jusqu'à en perdre le souffle ou de pleurer à ne plus posséder de larmes dans le corps. Inutile de le nier, elle avait mal. La preuve en image. Quand il l'aida à se relever, ce fut presque un automatisme que de se raccrocher à ses bras forts, et une maladresse supplémentaire d'avoir essayé de poser son pied au sol. Pourquoi ? Parce que vaciller au point de retomber justement dans une position analogue à celle qu'elle venait d'essayer de fuir, c'était quand même jouer de malchance. Hors justement, voilà qu'elle se retrouvait avec le nez presque collé au sien, leurs respirations mélangées, la sienne légèrement saccadée. En moins d'une seconde, elle en perdit le souffle.

MI AE ▬ Me-Merci... »

Plan A : Cesser de bégayer. Plan B : Se détacher de cette protection arriviste. Plan C : Ne surtout pas avoir la chance incommensurable de voir un des deux autres arriver de peur de se sentir dix fois plus mal à l'aise. Le problème, dans l'histoire, c'est que sa cheville était récalcitrante. Ce n'était pas faute d'essayer de retrouver une position normale, pourtant. Pas qu'elle eut quelque chose contre Jae Wook, loin de là. Enfin, rien qui ne dépasse le fait qu'il savait presque tout d'elle, et surtout ce qu'elle s'acharnait à cacher aux autres. Son côté timide, justement, pour donner un exemple. Ou encore le fait que malgré les airs qu'elle se donnait, elle restait aussi sensible que maladroite. En fait, à bien y repenser, il savait tout. Tout, sauf son retour dans le passé, chose dont elle avait failli parler dans le journal à un moment donné. Et rien qu'à cette idée, repenser au fait qu'il l'avait aidée à se déshabiller, enlacée de façon non délibérée et touchée, eh bien... Oui, en fait, elle se contenta de baisser la tête. Pas folle la guêpe, on ne gifle pas un sauveur peu doué, encore moins quand il fait autant de centimètres en plus. Du coup, elle se retrouva à fixer ses lèvres. Hum... C'était mieux ça, peut-être ? Non, finalement, c'était encore mieux de le regarder franchement dans les yeux. Quitte à continuer dans le bégaiement. Et à devoir se redresser sur la pointe d'un pied pour essayer de gagner en crédibilité. Ou en débilité, au choix.

MI AE ▬ Je suis désolée, je ne voulais pas... Te fuir... C'est-à-dire que... Enfin, ça ne me dérange pas que tu me touches, loin de là, c'est juste que... Je veux dire que c'est... Gentil ? Oui, gentil de me tenir comme ça et... »

Euh... Mi Ae ? Tu t'enfonces. Mais que voulez-vous ? Une pointe d'alcool, une bonne dose de gêne et un certain talent pour ne pas être capable de s'expliquer, ça donnait ça. Une superbe tirade qui aurait dut déboucher sur d'honnêtes excuses et qui tournait à... A quoi, d'ailleurs ? A une invitation, presque. Seigneur Dieu, si seulement c'était la tête qui s'était ramassée au sol plutôt que le menton.

Il y avait comme... Une vague d'embarras dans l'air. Le genre de celui qu'on subit en début d'adolescence quand une amie décide de donner votre poème au garçon qui vous plait. Sauf que là, point de rimes. Pas d'attirance non plus ? ... Non, définitivement non. Tant qu'elle évitait de le regarder trop longtemps dans les yeux, Mi Ae ne se sentait pas prise de vertige. Ne restait qu'une certaine tension, dans l'esprit comme dans le corps, de par la certitude qu'il la regardait, aussi incapable de bouger qu'elle. Chers yeux si beaux qui cherchaient un visage ! Si lointains, cachés par d'autres âges, qui d'un battement de paupières, sous le tonnerre et les célestes pierres, se protégeaient de ses cils. Que voulaient-ils d'elle ? Lèvre mordue à en devenir d'un bel écarlate, yeux fuyants, voilà tout ce que la photographe parvint à donner à son colocataire le temps d'un battement de cœur saccadé. Que lui dire après une telle maladresse ? S'excuser d'avoir presque insinué qu'elle aimait le sentiment ressenti entre ses bras ? A ce compte, mieux valait encore se taire, de peur de se briser contre la force qu'il répandait malgré la timidité que sa voix ne cachait pas aussi bien que ses écrits. De fait, ce n'est qu'en sentant ses joues se colorer à nouveau d'un rose léger qu'elle se laissa mener jusqu'à son lit, prenant place d'une jambe repliée sous elle tout en laissant la grande blessée pendre dans le vide. Exercice complexe qui releva un peu son kimono, mais à ce compte là, qu'importait ? Le pire restait sans doute de le voir sourire sans aucune sincérité, n'osant plus ni la regarder ni l'approcher. A se demander pourquoi cette vue lui serrait incommensurablement le cœur.

JAE WOOK ▬ Dis... Pour-pourquoi tu... Enfin, pourquoi avoir mis ce, ce journal là ? »

Et celui-ci, entre eux, unique lien qui l'avait rapprochée d'un homme quand tout en elle n'avait espéré que le contraire. En effet, pourquoi ? Doucement, sans brusquerie ni réponse formulée, la brune tendit le bras pour en caresser la couverture bleutée. Presque veloutée dans l'aspect, mais aussi lisse que douce au touché. Elle-même n'était pas sûre de ce qu'elle avait cherché la première fois en libérant ses pensées entre deux livres de musique. Un véritable confident qui connaîtrait tout sans rien savoir ? La preuve que malgré l'âge qu'elle était censée avoir elle pouvait encore oser quelque chose de complètement fou ? L'envie, même infime, de savoir si son esprit pouvait plus attirer les gens que sa froideur habituelle ? Rien, ou peut-être tout à la fois. Cette question se voulait reposer sur quelque chose qui ne possédait, en vérité, aucune base consciente. Lentement, la coréenne releva un regard hésitant sur son compagnon. Cherchant dans ses traits la bonne réponse à donner.

MI AE ▬ Je voulais... Sans doute... Te rencontrer. »

Drôle de réponse pour une drôle d'idée. Celle qui trottinait dans sa tête depuis tellement longtemps... Lui soufflant, telle une brise salvatrice un beau jour d'été, que le hasard n'était que le résultat capricieux du destin. Puis, comme réagirait la jeune vierge face à la licorne, l'héritière des Hwang retira sa main du livre dans une caresse légère, à l'image du calme qu'elle voulait lui inspirer sans y parvenir. Tentant de ne pas l'effrayer, danger publique qu'elle avait décidé d'être en ce jour.

MI AE ▬ Est-ce que je te fais peur ? »

Référence à ses paroles, perche tendue au fait qu'il était déjà trop éloigné d'elle à son goût, réagissant d'instinct à l'image de tous ceux qui apprenaient à la connaître avant de prendre la fuite. Après autant de proximité, sa présence lui manquait, en quelque sorte. Détournant la tête, la jeune fille se laissa doucement glisser en arrière, s'allongeant sur le lit, sa chevelure de soie sombre s'étalant en corole autour de sa tête, soulignant sa moue pensive. Si son cœur jouait encore à un rythme frénétique, elle se sentait... Apaisée. Certes, sa cheville était douloureuse, mais elle avait déjà enduré tellement de douleurs physiques qu'elles ne la faisaient presque plus réagir. Il n'y avait plus que son corps pour céder à la faiblesse déclenchée par une telle blessure, aujourd'hui.

MI AE ▬ Et toi, Jae Wook... Pourquoi avoir répondu ? »

La frêle demoiselle tourna la tête, reposant son regard félin sur son vis-à-vis, plissé sur quelques éclats mordorés. Après tout, oui, pourquoi ? A croire que ce mot, ce questionnement allait rythmer leur soirée, les rapprochant plus qu'un jeu de la vérité. Et parlant d'authenticité, Mi Ae se reprit dans l'instant :

MI AE ▬ Ou peut-être... Oppa ? Tu dois être plus vieux que moi. »

Un fin sourire amusé s'étira sur ses lèvres maintenant qu'elle osait plonger plus profond dans sa propre connaissance de son correspondant. Non, elle ne savait encore rien. Ou pas assez. Mais tant qu'à dormir en face à face, pourquoi ne pas se permettre d'essayer de le faire parler un peu plus ? Se redressant l'espace de deux minutes peut-être, temps qu'il lui fallu pour retirer définitivement cet obi de malheur qui avait déclenché leur série de malchance, la cadette de la discussion le posa doucement à ses côtés, retenant au mieux les pans de sa tenue alors qu'elle reprenait une position plus confortable.

La distance... Mi Ae en avait l'habitude. C'était toujours la première réaction des gens après lui avoir adressé la parole. Allez savoir si c'était le regard froid, le ton détaché, cette maladresse compulsive à faire passer des émotions plus douces au travers de sa façon d'être ? En tout cas, la proximité d'une personne ne lui avait jamais manqué. Au contraire, ça lui évitait des catastrophes. Trop parler, c'était s'exposer. Tenir à quelqu'un, c'était souffrir. Elle savait tout ça depuis bien des années. Et quand les gens ne se décourageaient pas, ce n'était que pour mieux insister, venir lui tourner autour comme des mouches indésirables, bourdonnant à ses oreilles comme le programme absent d'une télévision en noir et blanc. Le genre de personne dont elle savait se débarrasser. Mais lui n'essayait pas d'être proche d'elle, il n'insistait pas, il restait juste là, à une distance respectable, répondant comme on hésite sur la situation à laquelle on a affaire. Et pour la première fois de sa vie, ça lui faisait mal, poussant son cœur à éclater sans qu'elle soit capable de le maîtriser ne serait-ce qu'une seconde. Extérieurement, la brune était calme, posée. Parfaitement à l'aise sur ce lit, retrouvant peu à peu ses repères et ses systèmes de protection. Mais à l'intérieur, rien ne suivait son chemin normal. Il n'était pourtant pas si différent des autres. Un homme de plus, auquel elle n'aurait jamais dus avoir envie de parler.Alors pour quelle raison son esprit la renvoyait-il sur des moments passés ? L'embarcadère, avec ce jeune homme hésitant, son étui à guitare à la main. Le bateau, avec son sauveur capable de lui arracher plus de trois mots et un sourire sincère. La fête, avec son air perdu et la particularité d'être un des rares étudiants à avoir gardé son kimono. Son visage hésitant quand ils s'étaient reconnus.

A chaque fois, elle l'avait vu, et son esprit avait enregistré son image sans la mettre au courant. Oui, c'était exactement ça. Elle l'avait vu. Tout comme elle le voyait encore, l'observant avec curiosité, tentant vainement de se construire une intimité à ses côtés, presque aussi insistante que ceux qu'elle avait l'habitude de rejeter tout net. La coréenne ne croyait pas au hasard. Pas dans les rencontres, pas après la vie sombre qu'elle avait mené. A moins que le hasard ne soit réellement que le fils capricieux du destin, décidé à tirer sur les cordes déjà mises en place pour mieux en chambouler la trame. Une deuxième chance, voilà ce qu'elle était venue chercher dans cet entre-monde dont elle doutait encore. Hors c'était le moment d'en jouer, d'essayer de comprendre ce qu'aurait put être sa vie sans la mort comme seule compagne éternelle. Incapable de ne pas plonger son regard dans le sien, voilà ce qu'elle était. Sans raison précise, et presque sans plus en chercher une. Elle voulait qu'il parle. Entendre sa voix s'élever entre eux, grave mais rassurante, proche du murmure si elle n'avait été aussi forte de nature. Qui était-il ? Qui serait-il ? Des questions, toujours des questions. De celles qu'elle n'oserait sans doute jamais poser, au contraire de la plus élémentaire qui lui valu à son tour un temps d'attente dans le silence, sans que cela soit vraiment dérangeant. Au contraire, leur échange était reposant.

JAE WOOK ▬ Non, je n’ai... Je n’ai pas peur de toi. »

Réponse qui lui arracha un léger sourire tandis qu'elle se laissait glisser sur le lit, dans l'idée d'essayer de trouver plus d'intérêt au plafond qu'à son voisin. Une façon comme une autre de tenter de... Ne pas le mettre mal à l'aise, sans doute. Ses paroles étaient suffisamment claires sans avoir besoin d'un appui physique pour les rehausser, et elle se contenta de hocher doucement la tête. N'avoir peur de personne en particulier, mais peur de tous à la fois. La photographe connaissait ça. Sans en avoir l'air, tout tournait autour de ce simple fait, d'une unique constatation aussi simple à comprendre que compliquée à mettre en forme, par mots comme par gestes. Finalement, sans doute était-ce mieux comme ça. Après autant de contact, se séparer ne pouvait que leur rendre leur caractère originel, permettant une découverte un peu moins catastrophique que l'autre. De fait, ne trouvant aucune ligne d'horizon sur laquelle fixer son attention au-dessus d'elle, Miu reporta tout son intérêt sur son correspondant, posant à son tour cette question que tous deux attendaient.

JAE WOOK ▬ Je l’ignore. »

Pour mieux en récupérer la réponse, aussi évidente que la sienne. D'un léger soupir, la brune hocha à nouveau la tête. Ils ignoraient tout de ce qui les avait poussés à se connaître et à se rapprocher, et c'était presque tant mieux. D'une certaine façon, elle préférait cette notion d'infinité dans leur lien, ce petit rien qui lui avait permis de tout dire. Ou presque.

MI AE ▬ Oppa... Jae Wook Oppa. »

Il avait détourné les yeux après un haussement d'épaules, lui laissant tout le temps désiré de se débarrasser de son obi afin d'être plus à l'aise, et ne le voyant pas en revenir à elle, la frêle asiatique avait décidé de se redresser afin de mieux se pencher vers lui, glissant à nouveau ses deux mains sur le journal qu'ils partageaient. La dernière fois qu'elle avait écrit, c'était pour mieux épancher ses inquiétudes les plus intimes, les plus sombres. La perte des proches. Sans préciser qui ni pourquoi, mais elle avait abordé sa culpabilité d'avoir été la cause d'une mort et d'avoir été incapable d'en empêcher une autre, alors même qu'elle était déjà responsable de la disparition de sa mère à sa naissance. Une seule question avait été importante, dans ce texte. 'Comment ne pas être meurtrière et victime à la fois ?'. Lentement, la belle souleva le carnet et le tandis vers le brun, un petit sourire hésitant aux lèvres.

MI AE ▬ Est-ce que tu... Le lirais pour moi ? »

Cette nuit, elle avait besoin de force. Il avait besoin de mots. Au fond, n'était-ce pas une lecture comme une autre que de donner sa réponse à voix haute ? Se mordillant nerveusement la lèvre inférieure à l'en faire devenir écarlate, l'héritière Hwang pencha la tête de côté. Qu'il ne dise pas non, qu'il ne la rejette pas comme tous les autres le faisaient si aisément.