Ce qu'elle fichait là ? Même Mi Ae aurait été tout à fait incapable de répondre à cette question. C'est vrai, quoi. La dernière fois qu'elle était entrée dans un karaoké devait remonter à... Oh, bien trente-cinq ans. D'accord, peu crédible si on la regardait, tranquillement appuyée contre le comptoir avec ses longues jambes gainées d'un jean sombre croisées pour venir nier le nombre d'années que son esprit avait. Si elle calculait bien, ça ne faisait que cinq ans qu'elle n'avait pas posé les pieds ici, ce qui la menait à l'âge niais de ses quatorze ans. En fait, c'était justement à cet instant que son père avait découvert qu'elle aimait chanter, chose totalement ridicule à ses yeux, en plus d'être inutile, et qu'il lui avait donné l'ordre de ne plus jamais approcher un établissement de ce genre afin de ne pas salir le nom de leur famille. Honneur, respect, secret, mensonge. A ses yeux, il s'était toujours parfaitement débrouillé tout seul pour enfoncer leur réputation à six pieds sous terre, mais soit. A partir de ce jour, elle n'avait eut pour ces sorties que des sourires d'excuse. Ce n'était pas faute d'avoir versé des larmes amères par derrière. Mais ce que le Président ordonnait, tous le faisaient. Elle plus que tous les autres. Pour racheter son âme d'avoir tué sa mère pour venir au monde. Voilà sans doute la raison qui la poussait à rester là. Se rebeller. Encore. Le regard dans le vague, la coréenne poussa un profond soupir en attendant que quelqu'un se décide enfin à venir travailler. A croire qu'elle arrivait à l'heure de la pause. Puis ses yeux se posèrent sur le tableau électronique en face d'elle. Histoire de s'occuper, lire le nom des occupants de chaque pièce n'était pas si mal. Tous étaient en groupes. Ou presque. L'éclat mordoré de son regard accrocha un nom en particulier. Un nom qui ne lui était pas étranger, loin de là. Instantanément, sa mine sombre s'éclaira sur un bref sourire félin. Lui. Ici. Ça sonnait comme une blague. De mauvais goût sans doute, mais quand même.

Sans plus attendre une seule seconde de voir quelqu'un arriver, l'apprentie photographe s'écarta du comptoir en notant mentalement le numéro de la salle. N'étant pas difficile de se repérer dans un bâtiment pareil, l'intouchable arriva rapidement devant la porte de la salle et posa le bout de ses doigts sur la clinche. Lieu où ils restèrent. Trop occupée à observer le trouble sur le visage de Ji Seok à travers la vitre que pour oser s'imposer tout de suite. Sans trop en comprendre la raison, Mi Ae sentit son cœur se serrer. Ce type de regard, elle le connaissait bien. C'était celui qu'elle avait à chaque fois qu'elle venait le trouver. Celui d'Hana quand rien n'allait dans sa vie. Celui de son père quand il reconnaissait les traits de sa femme décédée sur le visage de sa fille. Troublée, la brune relâcha la poignée et resta quelques instants les bras ballants devant cette porte. Définitivement close, d'une certaine façon. Elle n'avait rien à lui offrir. Ni réconfort, ni joie. Elle le savait. Mieux que personne. Certaines situations réclamaient de n'être jamais aperçues, ni comprises. Ses tentatives maladroites ne feraient qu'être un poids. Puis tout d'un coup, parce qu'elle n'ignorait pas non plus que la pitié était encore pire à la compassion, la belle ouvrit la porte et se glissa dans la pièce, refermant soigneusement derrière elle.

MI AE ▬ Quelle surprise quand j'ai vu le nom de Ji Seok Sshi à l'accueil ! »

D'une démarche lente, un peu ondulante, la demoiselle s'approcha du sofa avant de se couler gracieusement dans ce dernier, posant enfin son regard de chat sur le visage de son dongsaeng. Lui sourire ? Même plus l'envie. En fait, ils avaient l'air aussi torturé l'un que l'autre. Si ça ne faisait pas peine à voir, alors c'était hilarant. Logique imparable. Posée, comme à son habitude, l'étudiante croisa les jambes, penchant un peu la tête de côté comme pour mieux observer la tête que tirait son compagnon forcé. Il avait l'air de tout, sauf d'être bien.

MI AE ▬ Tu as une tête de déterré... » Malheur ! Pourquoi fallait-il qu'elle soit aussi franche ? « ... Et tu es au courant qu'on vient rarement chanter seul dans un karaoké ? »

Se mordillant légèrement la lèvre inférieure, l'asiatique ferma les yeux dans un profond soupir. Elle-même était bien venue seule, alors pourquoi pas. Il est vrai qu'on avait plus de facilité à cacher ses faiblesses dans la solitude, parfois. Sourire faussement à des pseudo-amis pour se persuader soi-même que tout allait bien, ce n'était pas la meilleure des solutions.

MI AE ▬ Tu vas chanter pour moi... ? »

Tenez, elle était atteinte. Voilà qu'au lieu de donner un ordre, elle le lui demandait gentiment, sans même le regarder.

Comment pouvait-on avoir l'air aussi perdu ? D'accord, être seul dans un karaoké était déjà un signe, mais jamais Mi Ae n'avait encore vu ce type d'expression sur le visage du jeune chanteur. Non, trop d'arrogance pour ça.

JI SEOK ▬ Salut. »

Trop l'habitude de lui rappeler qu'elle oubliait la politesse, sans en avoir l'air. De là à dire qu'elle regrettait de ne pas l'avoir salué, c'était un peu trop. Heureusement, il souriait. Pas de danger jusque là, c'était la raison principale qui avait poussé la coréenne à s'avancer tout en lui faisant remarquer qu'il avait une tête d'enterrement. Ça, et le fait qu'elle se sentait soudainement... Proche de lui. Désœuvrée au point de venir jusqu'ici. Pourquoi ? Son esprit se le demandait. Oui, son esprit seulement. Franche comme elle l'était, si il avait décidé de lui en parler de lui-même, elle n'aurait pas hésité à faire connaître son avis. Mais elle était bien placée pour savoir que parfois, le silence était plus confortable. Moins gênant. Moins dangereux pour ce côté sombre qu'on ne voulait montrer à personne. Pour autant, résister à lui faire remarquer le ridicule de sa situation, c'était au-dessus de ses forces.

JI SEOK ▬ Quel dommage. »

Et un sourire narquois, un. Malgré elle, confortablement installée, l'étudiante fronça les sourcils. L'habitude, sans doute, de prendre la mouche en un quart de secondes. Pour la forme, elle se permis même un regard noir. Beaucoup plus parlant que ses mots, aucun doute là-dessus. Mais peut-être était-ce tout ce qu'il attendait ? De se faire remonter les bretelles ? Réflexe puéril, la brune donna un coup de coude dans les côtes de son compagnon avant de fermer les yeux pour appuyer sa tête contre les coussins du canapé. Un petit sourire aux lèvres, parce qu'elle savait. Il avait confiance. Il était au courant qu'elle ne partirait jamais, quand bien même son arrogance ne manquait jamais de provoquer des réactions un peu disproportionnées de sa part. En témoignait leur rencontre, après tout. Pour autant, fière comme elle était, elle n'irait jamais avouer qu'elle l'aimait bien, et encore moins que sa voix la troublait au plus profond d'elle-même. Faisant résonner une corde sensible. Façade d'elle qu'elle ne montrait guère à tout le monde. Alors elle lui posa la question fatale, cette petite question qui d'habitude n'était rien de moins qu'un ordre. Leur rituel à eux. A son soupir, l'apprentie photographe entrouvrit un œil, s'étirant vers lui comme un chat exigeant de son 'maître' qu'il fasse ce qu'il attendait de lui. A sa moue, la belle s'autorisa enfin un sourire sincèrement amusé. Il n'était peut-être pas au courant de ce détail, mais il était craquant quand il faisait cette tête.

JI SEOK ▬ Je dois obligatoirement le faire avec ce truc ?
MI AE ▬ Si tu veux avoir l'air idiot, je t'en prie. »

Réponse classique venant d'elle, même si elle avait accordé un vague regard sur le karaoké. En fait, elle n'était venue à la base que pour balancer de l'argent par les fenêtres afin de pouvoir s'enfermer pendant une heure dans une pièce insonorisée. C'était sa seule raison. L'objet qui faisait la principale renommée de l'établissement ne l'intéressait pas plus que ça. Aussi se contenta-t-elle de pencher légèrement la tête de côté, observant son cadet tandis qu'il fermait les yeux pour s'offrir une meilleure réflexion. Elle, pendant ce temps, se contentait de l'observer. Et de constater avec satisfaction que son apparition semblait lui avoir changé les idées. Sans en avoir l'air, Mi Ae aimait servir à quelque chose. Qu'on ne sache pas que tel était son but ne l'avait jamais dérangée. Garder un côté inaccessible lui convenait parfaitement. Afin de ne pas donner de faux espoir d'attache aux gens. Le problème, avec lui... C'est qu'elle s'attachait. Sans comprendre. Dès qu'il rouvrit les yeux, elle détourna la tête, faisant mine de regarder avec intérêt le grand écran qui permettait de passer les clips et les paroles des chansons. Se laisser simplement bercer par sa voix à la fois douce et sensuelle, voilà tout ce qu'elle voulait. En moins de temps qu'il en faut pour le dire, ses muscles se détendirent. Les traits de son visage se firent plus calmes. Apaisés.

JI SEOK ▬ Euh, ça te plaît ou tu préférerais autre chose ?
MI AE ▬ Chante ce que tu aimes. C'est quand tu es toi-même que tu me plais. » Un fin sourire, avant de prendre conscience de sa bourde. « Ta voix, je veux dire. Ne te fais pas d'idées. »

Comme d'habitude quand les sentiments s'en mêlaient : Elle n'arrivait plus à surveiller ses paroles. Du coup, elle rougissait. Refermant les yeux, la troisième année se mordilla nerveusement la lèvre inférieure, dans le silence le plus complet. A noter : Toujours faire attention auprès de lui. D'abord parce que c'était gênant de faire remarquer à quelqu'un qu'on l'appréciait. Ensuite, parce qu'elle ne voulait pas que son arrogance refasse surface.

MI AE ▬ Prends confiance en toi. Laisses-toi aller. J'aime quand je peux sentir ton âme s'envoler de ta voix... Quoique tu fasses, je t'écouterai toujours. »

Toujours. Ce mot, cette phrase... Sonnait d'une façon familière. Comme si elle existait déjà depuis un certain temps. Repliant ses jambes contre elle tout en se tournant du côté de Ji Seok, la coréenne rouvrit ses yeux mordorés pour les poser sur lui. Sans doute avait-elle oublié. Elle savait depuis un moment que certains détails lui échappaient, comme si le retour dans le temps n'avait pas put empêcher sa mémoire d'éclater en morceau. A croire que la folie l'avait prise entre ses bras pour la broyer lentement. Trop lentement.

MI AE ▬ Ji Seok, tu crois au destin ? »

Son regard intense le dévisageant, la jeune femme semblait sérieuse. Peut-être un peu trop, mais quand quelque chose voulait s'imposer à elle, elle ne réfléchissait pas avant de l'accepter. Cette question venait parce que... Parce que son chant réveillait quelque chose en elle. Une émotion qui rendait ses yeux moins froids et, paradoxalement, son âme plus lointaine.

- Chante ce que tu aimes. C'est quand tu es toi-même que tu me plais. Ta voix, je veux dire. Ne te fais pas d'idées. »

Ji Seok a regardé Mi Ae quelques instants. Mais qu'est-ce qu'elle racontait, bon sang ? Elle avait l'air gêné comme si elle s'était rendue compte de son erreur un peu en retard. Il a souri. Ji Seok n'était pas du genre à aller à des conclusions hâtives, en tout cas - bien sûr que non, il ne se faisait pas d'idées. Pourtant, d'une façon ou d'une autre, ces mots sonnaient étrangement à ses oreilles. Il a tenté d'ignorer ce détail.

- Prends confiance en toi. Laisses-toi aller. J'aime quand je peux sentir ton âme s'envoler de ta voix... Quoique tu fasses, je t'écouterai toujours. »

Il n'a pas lâché la jeune femme des yeux, soudainement touché par autant de soutien. Il fallait dire que ça faisait longtemps - très longtemps - qu'on ne l'avait pas encouragé ou soutenu pour ce qui était de ses choix et des chemins qu'il empruntait. Il s'est donc remis à chanter, tout ça pour lui faire plaisir. Elle le méritait bien, après tout, non ? Sans elle, Ji Seok n'aurait peut-être même pas le courage de rebâtir sa vie, malgré sa passion pour le chant. Il sentait toujours le regard de Mi Ae sur lui, il a senti qu'elle bougeait : il était trop concentré sur ce qu'il faisait pour porter attention à ces détails. Même si sa spectatrice était loin d'être un simple détail. Savait-elle combien elle était importante, pour lui ? Moralement, si elle n'était pas là, le jeune homme aurait tout abandonné et serait sans doute un grand dépressif. Elle était la seule personne qu'il connaissait qui le soutenait psychologiquement et professionnellement, jusqu'à ce jour. Quand Ji Seok a terminé la chanson, il a eu l'impression que le silence s'abattait drôlement. Il avait toujours cette impression, lorsqu'il arrêtait de chanter ; comme si, par la suite, le silence était un drôle de vide déchirant.
Sur le coup, il s'est rendu compte qu'il ne parlait pas beaucoup. Il laissait le vide se combler par les mots de Mi Ae, ce qui faisait assez minable. Il s'est tourné vers elle, s'apprêtant à lui dire quelque chose, mais il n'a pas eu le temps de commencer sa phrase qu'elle l'a interrompu.

- Ji Seok, tu crois au destin ? »

Il est resté bouche-bée. C'était la dernière chose qu'il s'attendait à entendre, à vrai dire. Pourquoi une telle question ? Ji Seok a soupiré, cherchant la bonne réponse.

- J'en sais rien. »

Vraiment très pauvre, comme réplique, mais il n'avait pas d'idée. Il s'est frotté les yeux, laissant tomber sa tête sur le dossier du sofa et fixant le plafond comme si les bons mots allaient s'y inscrire.

- En tout cas, si j'étais persuadé que ma destinée était la même, je ne serais pas revenu en arrière. » Il a médité ses paroles un instant avant de se reprendre soudainement. Non, je serais revenu. Juste pour goûter les dernières miettes de bonheur et d'innocence qu'il me reste. »

Ses paupières se sont fermées, comme pour appuyer ses propos. Il se fichait bien de ce que Mi Ae dirait de lui - c'était sa façon de voir les choses. À force de rester les yeux fermés et la tête appuyée confortablement, Ji Seok a bien failli tomber de sommeil. Il passait trop de nuits blanches pour composer, c'était évident, et le manque de sommeil commençait à se faire sentir. Pour se garder éveillé, il a ouvert les yeux et dévisagé Mi Ae.

- Pourquoi cette question, exactement ? »

Au final, oublier n'avait pas d'importance. Ce futur dont elle ne voulait plus ne comptait pas. Ce moment, cet instant pendant lequel la voix de Ji Seok s'élevait gracieusement à ses côtés, elle ne l'oublierait pas. Pas lui. Voilà tout ce qui comptait. Garder en mémoire le long regard qu'il lui avait jeté alors qu'elle l'encourageait. Ne pas regretter d'être là pour lui. Parce que toutes les rencontres ne finissaient pas toujours mal. Voilà bien la seule chose dont elle était sûre : Avec lui, ça ne finirait pas mal. C'était sans doute ça, cette petite corde qui vibrait en rythme en elle, ce sentiment qui faisait battre son cœur un peu plus fort que d'habitude. Son dongsaeng n'était pas de ceux qu'elle risquait de perdre à tous moments. A cette pensée, un sourire doux s'afficha sur les lèvres de la jeune femme, de ces sourires qu'on ne montre qu'aux gens auxquels on tient. Apaisée, voilà ce qu'elle était. Il aurait put chanter des secondes, des minutes, des heures, des jours, des mois, des années... Elle serait restée là, son regard tendre posé sur lui, sa joue confortablement appuyée contre la paume de sa main. Simplement parce qu'elle sentait que sa place était à ses côtés, sans raison précise. Mais dans le silence déchirant qui suivi la fin de la chanson, la féline s'était légèrement redressée, l'observant plus en détail, les sourcils à nouveau froncés. Car on avait beau chasser les nuages, ils revenaient toujours un jour ou l'autre. Les questions n'étaient rien de plus qu'un gros nuage noir de pluie à l'intérieur même de sa tête. C'est à ce moment que la question fatale fit son apparition. Étrangère même à celle qui l'avait invoquée. Confortablement installée, Mi Ae continuait d'observer son compagnon tandis qu'il soupirait en laissant sa tête tomber de le dossier.

JI SEOK ▬ J'en sais rien. »

A se frotter les yeux comme ça, il ressemblait à un enfant. Ou à quelqu'un qui n'avait plus dormi depuis beaucoup trop longtemps. Malgré elle, la brune plissa le front à cette idée, presque prête à lui faire la morale sur les bienfaits d'une bonne nuit de sommeil. Mais il n'y avait pas que ça. Elle le savait. Ils le savaient tous les deux, en vérité.

JI SEOK ▬ En tout cas, si j'étais persuadé que ma destinée était la même, je ne serais pas revenu en arrière. Non, je serais revenu. Juste pour goûter les dernières miettes de bonheur et d'innocence qu'il me reste.
MI AE ▬ Revenu ou non, je suis sûre d'une chose. Ton destin n'est pas un chemin de miettes. Tu auras droit au bonheur, à l'innocence, au confort. Tu auras droit à l'amour. Je serais derrière toi pour m'assurer qu'on te donnera bien tout ça. »

Le temps passé à fixer le plafond, l'apprentie photographe l'avait passé à observer en détail les expressions de son cadet. Rien que ces quelques mots semblaient le torturer, d'une certaine façon. Une torture différente de la sienne, mais elle existait malgré tout, quelque part sous ce monstre d'arrogance qui commençait à s'endormir sans même s'en rendre compte. Sans geste brusque, Mi Ae se rapprocha de Ji Seok et glissa une main tremblante près de ses cheveux. Elle avait envie de l'aider, pour une fois. D'être utile à quelqu'un, de donner un sens à sa vie. D'offrir une vision d'elle-même que personne ne connaissait. Et malgré tout, la belle dut retenir un léger sursaut en le voyant ouvrir à nouveau les yeux, ce qui la poussa à récupérer sa main aussi vite que possible pour la poser... La poser où ? Ah, oui, sur son genoux. Ce serait une bonne excuse.

JI SEOK ▬ Pourquoi cette question, exactement ?
MI AE ▬ Je me demandais juste... Si le destin ne se jouerait pas un peu de nous. »

A croire que leurs regards jouaient à cache-cache, l'unique héritière de la fortune des Hwang riva à nouveau ses yeux au plafond. Inintéressant, notez bien, puisque ce dernier était sans doute d'un bête blanc quand les lumières multicolores de la salles ne venaient pas le titiller. Poussant un profond soupir, la demoiselle releva soudainement son bras et l'étira jusqu'à la tête de son compagnon. Se saisissant d'une mèche de cheveux du bout des doigts, sans réellement réfléchir à l'image que ça pouvait donner.

MI AE ▬ Je me demande si nous pouvons... Réellement... Changer les choses. Influer sur notre vie. Ne pas perdre... Ceux que nous aimons... »

Lentement, l'étudiante reporta son regard nostalgique sur le visage du jeune homme, esquissant un sourire presque... Triste.

MI AE ▬ Si nous étions destinés à nous rencontrer, aussi. » D'un nouveau mouvement, la coréenne se rapprocha de son vis-à-vis au point de ne laisser que quelques centimètres entre leurs deux visages. Sa main, délicate, caressait toujours ses cheveux. « Du pourquoi de cette rencontre. » Dans un petit rire, la brune donna un coup de d'épaule à Ji Seok. « Je suis sans doute là pour t'apprendre à dormir quand tu en as besoin. Couches-toi. » Lâcha-t-elle d'un ton un peu plus assuré, tapotant brièvement ses genoux de sa main libre.

MI AE ▬ Qu'attendons-nous du futur ? Ne nous sommes-nous pas déjà trop perdus pour connaître la réponse à cette question ? » Rajouta-t-elle d'un ton plus bas, proche du murmure.

Tout ça pour retomber dans un silence torturé. Rempli de questions qu'elle savait sans réponse. Pourquoi fallait-il que ces idées envahissent sa tête dès lors que son compagnon avait réussi à réveiller la part la plus sensible de son être ? Mieux valait le silence, maintenant. Elle avait trop parlé pour la journée entière, tout ça pour mieux s'enfoncer dans ses propres peurs.

- Revenu ou non, je suis sûre d'une chose. Ton destin n'est pas un chemin de miettes. Tu auras droit au bonheur, à l'innocence, au confort. Tu auras droit à l'amour. Je serais derrière toi pour m'assurer qu'on te donnera bien tout ça. »

Si Ji Seok n'avait pas eu plus de retenue, il aurait sans aucun doute prit Mi Ae dans ses bras. Ses paroles étaient beaucoup plus importantes pour lui qu'elle ne pouvait le soupçonner, et Ji Seok aurait tellement voulu la croire... Eh bien, peut-être que c'était vrai. Peut-être que sa deuxième chance ne servirait pas à rien. Pour l'instant, il n'avait rien fait pour régler le problème : il ne savait pas qui l'avait drogué et il ne savait pas si ça allait se reproduire. Si oui, comment l'éviter ? En trouvant le coupable et l'accusant d'un crime qu'il n'avait pas encore commis ? Cette personne avait complètement ruiné sa vie. Il avait suivi une cure et était allé en prison pour quelque chose qu'il n'avait pas fait. Il avait perdu les années suivantes de sa vie à se morfondre sur son sort, à chercher un boulot et à se faire dévisager dans la rue. Ji Seok ne pouvait pas faire autrement que de retrouver le coupable et lui faire regretter ce qu'il avait fait, voilà tout. Mi Ae lui parlait de bonheur, d'amour et de confort alors qu'il n'avait jamais éprouvé de pareil. Sa vie chargée et son époque misérable l'avaient empêché de connaître l'amour, justement. Il n'avait aucune idée de ce que c'était, se sentir aimé et suivi, soutenu.

Ji Seok n'écoutait plus vraiment ce que disait Mi Ae et il a sursauté légèrement en sentant ses doigts jouer avec une mèche de ses cheveux. Il n'avait franchement aucune idée de ce qu'elle fabriquait, mais ce n'était pas vraiment dérangeant. Il était tellement épuisé qu'elle aurait pu le frapper avec un bâton qu'il n'aurait pas bronché.

- Je me demande si nous pouvons... Réellement... Changer les choses. Influer sur notre vie. Ne pas perdre... Ceux que nous aimons... Si nous étions destinés à nous rencontrer, aussi. »

La jeune femme s'était beaucoup rapprochée, un peu trop, même. Toutefois, même s'il voulait se convaincre du contraire, Ji Seok n'arrivait pas à trouver cela désagréable. Soit il était pathétiquement désespéré, soit il était tout simplement bien. Peut-être les deux en même temps, pourquoi pas ? Plongeant ses yeux dans ceux de Mi Ae, il s'est emparée de sa paume, qui un peu plus tôt, caressait ses cheveux.

- Si on aime vraiment quelqu'un, je crois qu'on peut être prêt à tout pour le préserver. Même si on ne reçoit rien en retour, on doit faire de notre mieux. »

Voilà ce qui n'incluait pas son frère Jung Wan. Ji Seok ne parlait pas vraiment pour lui - il ressentait plutôt cet étrange besoin de rassurer Mi Ae, même si lui aussi, il avait besoin qu'on le rassure. Cette fois, il ne comptait pas vraiment. Il s'attendait à ce que l'ambiance soit redevenue lourde quand son amie lui a donné un coup d'épaule.

- Je suis sans doute là pour t'apprendre à dormir quand tu en as besoin, a-t-elle poursuivi. Couches-toi. »

Était-elle sérieuse ? En tout cas, même si elle rigolait ou pas, pour ce qui était de dormir, Ji Seok n'avait pas à se faire prier. Il a étiré ses jambes sur le sofa et a délicatement posé sa tête sur les genoux de Mi Ae, fermant les yeux. Il s'était à peine rendu compte qu'il n'avait pas lâché sa main lorsque sa paume s'est ouverte, faible alors que son corps se reposait petit à petit. Son souffle est devenu rapidement plus léger : il était véritablement sur le point de s'endormir.

- Qu'attendons-nous du futur ? Ne nous sommes-nous pas déjà trop perdus pour connaître la réponse à cette question ? »

Le murmure de Mi Ae s'était fait très bas. Le jeune Baik a voulu répondre et a tourné la tête, ouvrant la bouche puis la refermant immédiatement. Il était trop détendu pour avoir envie d'articuler une seule syllabe, même si les questions de son interlocutrice en valaient la peine. Ji Seok aurait voulu ouvrir les yeux pour voir son expression, mais il en était incapable. Il s'est donc contenté de reprendre sa paume entre ses mains, comme si ce seul geste pouvait être la réponse qu'elle attendait. Car en fait, le jeune homme ne savait absolument pas quoi répondre, étant tout aussi confus qu'elle. Mi Ae n'aurait qu'à interpréter ce geste comme elle le voulait, tant que ça pouvait la rassurer. Tant que ça pouvait l'aider.

- J'allais te demander quelque chose, tout à l'heure, mais j'ai oublié. »

Il a souri de toutes ses dents, oubliant son sommeil. Non, bien sûr que non, il n'avait pas oublié ! Il voulait seulement titiller sa curiosité. C'était ça, le problème, avec Ji Seok ; il pensait tellement qu'il n'arrivait même plus à dormir, même quand il ne demandait que ça. Puis, il faisait toujours passer l'ambiance d'un calme reposant à un côté plus jovial. Dans ce cas-là, ce n'était pas vraiment utile. Il a ouvert un oeil, regardant Mi Ae avec une pointe d'amusement et l'a refermé aussitôt, réajustant sa position sur ses genoux et reprenant une expression légère.

- Bon, bonne nuit. »

Être aussi détendue était dangereux. La présence même de Ji Seok, si proche d'elle, était dangereuse. Alors pourquoi diable s'était-elle rapprochée encore plus, pourquoi ses doigts jouaient-ils avec ses cheveux, pourquoi... Saisissait-il sa paume avec autant de douceur ? Surprise par ce geste, sans doute autant que lui par ses questions existentielles, la brune s'était contentée de regarder leurs mains jointes fixement. Sans exprimer quoique ce soit de particulier, sinon une curiosité non feinte. Chang Min ne lui avait jamais tenu la main de cette façon. Sei Hwan encore moins, vu le soin qu'elle prenait à éviter toute familiarité avec lui. Et cette impression... N'était pas désagréable, non. Au contraire. Voilà qu'il décidait de la troubler autrement que par la voix, ce dongsaeng arrogant.

JI SEOK ▬ Si on aime vraiment quelqu'un, je crois qu'on peut être prêt à tout pour le préserver. Même si on ne reçoit rien en retour, on doit faire de notre mieux. »

Lentement, Mi Ae avait hoché la tête. Pensive. Nostalgique. Perdue dans son observation muette. Oui, au fond, elle le savait déjà. Elle était prête à tout pour que ceux qu'elle aimait puisse avoir une vie au-delà du rêve. Quitte à devoir les perdre. Son cadet disait vrai, bien que ses paroles ne l'apaisaient pas tout à fait. Quelque part au fond d'elle, la jeune fille sentait son cœur se pincer par la simple peur de ne pas être capable d'y arriver. De ne pas être assez forte, pas encore. Alors pour oublier sa faiblesse momentanée, elle s'était concentrée sur celle du coréen, tout simplement. Lâche ? Peut-être un peu, pour une fois. Rien qu'une fois... D'un coup d'épaule, elle lui rappela sa tête de mort-vivant et tapota vaguement ses genoux, ce à quoi il eut une réaction pour le moins directe : S'étirant comme un chat le long du sofa, il posa sa tête sur ses genoux et ferma les yeux. Malgré elle, la belle retint un petit sourire, déplaçant son bras pour mieux l'enlacer autour du chanteur, lui permettant de garder sa main dans la sienne. Ce gamin était surprenant. Un coup insupportable, le suivant... Adorable. Secouant la tête avant de l'appuyer contre le dossier du sofa, la belle continua à parler. Pour combler le silence, cet ami qui lui faisait peur pour la première fois de sa vie. Parce que parfois, il fallait mettre des mots sur des pensées, pour ne pas sombrer dans la folie. Mais n'était-elle pas déjà atteinte ? A sa dernière question, aussi basse que le murmure d'une brise d'automne, l'étudiante ferma les yeux à son tour. Pour ne pas risquer de dévoiler la moindre larme dans ses yeux d'ordinaire si froids. Maintenant que les choses étaient dites, mieux valait se taire à jamais. Sentir la chaleur de Ji Seok à travers l'étreinte de sa main lui faisait... Du bien. Jamais elle ne l'aurait avoué à voix haute, bien entendu. Trop fière pour ça. Mais il était là, et rien que pour ça, elle lui en était secrètement reconnaissante.

JI SEOK ▬ J'allais te demander quelque chose, tout à l'heure, mais j'ai oublié. »

C'est en ouvrant les yeux derechef que l'apprentie photographe surpris le petit coup d'œil de son cadet à son intention, aussi amusé qu'à son habitude. Rien que ça ramena un sourire félin sur ses lèvres... Il voulait jouer ? Ça, elle pouvait le faire. La belle était rarement la dernière quand il s'agissait de gagner au jeu de la curiosité. Plissant les yeux en penchant son visage vers le sien, elle se mordilla doucement la lèvre inférieure.

JI SEOK ▬ Bon, bonne nuit.
MI AE ▬ Bonne nuit ? Dans tes rêves ! »

Et de lui donner un coup sur le front du bout du nez, pareille à un chat réclamant de l'attention. Et rien que pour être sûre qu'il avait bien compris le message, elle enchaina sur un coup de boule. Très léger, en soi, mais c'était juste pour ne pas avoir l'air trop douce avec lui. A la titiller comme ça, il n'avait que ce qu'il méritait.

MI AE ▬ Tu te souviens, j'en suis sûre. Ne me force pas à te torturer. »

Très crédible comme menace, même venant d'elle. Histoire de ne pas avoir l'air trop proche - non, ce n'était pas comme si ils avaient déjà l'air d'un couple en plein repos, du tout -, l'héritière des Hwang redressa la tête, lui accordant un regard impérieux. Pour autant, elle n'avait pas lâché sa main. Au contraire même, son pouce s'étant mit tout naturellement à caresser celle de Ji Seok, sans même qu'elle en prenne conscience. Promis, la prochaine fois, elle serait plus dure avec lui. Mais pas aujourd'hui, pas maintenant. Pas tant qu'il serait capable de l'apaiser comme il le faisait si bien.

MI AE ▬ En plus je t'ai dis de te coucher, pas de dormir. Donc... Parles, insolent ! »

Pour une fois qu'elle avait du mal à se retenir de rire... Un jour, il faudrait qu'il lui passe sa recette du bonheur. Quand elle aurait réussi à lui offrir tout ce qu'il désirait : Gloire, bonheur, innocence, confort, amour, tendresse. Tout ce qu'il méritait, aussi insupportable était-il à certains moments.

Spoiler:

Être à l'aise. Se sentir bien. Quelque chose qui, dans l'esprit de la Reine des Glaces, avait toujours été une source d'ennui. Relâcher son attention, ne serait-ce qu'une seconde, menait toujours à des ennuis. Aux souvenirs de froides nuits d'hiver, de fleurs de sang s'épanouissant sur la neige immaculée. Mais ici, non. Pas aujourd'hui. Comme si un lien indestructible avait décidé de se nouer entre leurs deux mains jointes, son sourire venant en étirer un en réponse sur les lèvres de la brune. Rien que pour ça, elle ne pouvait se résoudre à le lâcher. L'écarter de ses genoux, lui faire remarquer qu'elle détestait être touchée... Rien de tout ça ne lui venait à l'esprit. Il l'apaisait, et même son cœur en était venu à prendre un rythme calme. S'il ne s'était redressé pour mieux la regarder, sans doute aurait-elle cédé à l'idée de profiter de cette heure pour dormir avec lui. Enlacés. Trompeurs pour qui pourrait les voir.

JI SEOK ▬ Mi Ae, est-ce que tu resteras avec moi ? »

A cette unique question, aussi simple d'apparence qu'elle semblait compliquée une fois dans sa tête, l'interpellée retint son souffle. Rester avec lui. Pouvait-elle vraiment le faire ? En avait-elle seulement le droit ? Dans sa tête, tout lui criait que oui. Ne serait-ce que parce qu'il y avait cette sensation, lancinante... Un souvenir important qui se débattait pour refaire surface. La voix de Ji Seok. La sienne, et seulement la sienne, pour éveiller en elle des sentiments qu'elle n'avait pas l'habitude de ressentir aussi profondément. C'est à cet instant que son sourire se fit plus doux et que la caresse de son pouce se montra plus présente. Sans pouvoir en jurer, elle savait. Elle savait que jamais elle ne partirait, quoiqu'il puisse lui arriver. Au fond, la photographe avait déjà abandonné trop de monde derrière elle. Recommencer avec quelqu'un qui pouvait se vanter de faire remonter sa personnalité la mieux cachée ? Non.

MI AE ▬ Toujours. C'est une promesse. »

Parce qu'il avait beau mériter de se prendre des baffes plus souvent qu'il ne l'aurait dut, elle avait conscience qu'elle serait incapable de lui faire du mal. Pas volontairement, tout du moins. Du reste, elle en était toujours à porter malheur à ceux qui l'entouraient, pensée qui vint assombrir son doux regard mordoré pour n'y laisser que de sombres nuages. Tout était encore tellement récent... Et elle n'avait trouvé aucun moyen d'y remédier. A l'heure actuelle, Sei Hwan et Hana en étaient toujours à avoir un rendez-vous intime avec la mort d'ici quelques mois. Comme une horloge qui tourne et tourne, s'accélérant sans cesse, vous poussant à courir sans espoir d'arriver à temps. C'est à peine si, perdue entre deux époques, la coréenne entendit les paroles suivantes de son compagnon, le regard vaguement troublé par des larmes qu'elle faisait de son mieux pour masquer.

JI SEOK ▬ La prochaine fois, on se rencontrera ailleurs que dans un karaoké. »

Un hochement de tête. Rien de plus pour répondre, parce qu'aucun mot ne pouvait convenir, ni même franchir ses lèvres tremblantes. La prochaine fois. Etait-ce une bonne idée, finalement ? Se raccrocher à lui comme à une bouée, céder à son mouvement quand il se contenta de la prendre dans ses bras ? Non, tout ça n'était pas bon. Pas pour lui, en tout cas. Un jour, tout tournerait mal. Comme toujours. Parce que tel était le destin. Son destin. Alors pourquoi diable ses mains venaient timidement se loger au creux du dos du jeune chanteur ? Trop de questions pour deux êtres égarés dans les maillons du temps, incapables de savoir avec justesse ce que ce dernier pouvait bien leur réserver. Sans vraiment se contrôler, Mi Ae se serra contre lui, lui tendant volontairement tout l'amour qu'elle refusait d'habitude d'offrir. Il avait besoin de l'assurance d'un futur meilleur. Elle avait besoin de lui. Quand elle aurait repoussé aussi sec n'importe qui d'autre, elle se laissa simplement aller entre ses bras, confondant leur chaleur pour mieux retrouver leurs marques ensemble. Lorsqu'il la regarda de nouveau, la belle put même se permettre un petit sourire doux, aussi caressant que son regard. Le moment n'était pas venu de se poser trop de questions.

JI SEOK ▬ Je voulais savoir ce que tu faisais ici, toi. »

... Ou peut-être bien que si. Détournant les yeux durant quelques secondes en se mordillant la lèvre inférieure pour mieux se permettre un temps de réflexion, elle revint à Ji Seok en lui envoyant un nouveau coup du bout du nez sur le sien. Peste de gamin.

MI AE ▬ Mon petit doigt m'a chuchoté à l'oreille que quelqu'un avait besoin de moi. Tu m'excuseras par contre, j'ai été obligée de venir incognito, mes collants étaient au pressing. »

La froide Mi Ae en train de plaisanter ? Eh bien... Oui, semblerait-il. En direct du karaoké pour le seul profit de son dongsaeng, le sourire moqueur qui va bien en prime. Ceci dit, l'une de ses mains se détacha du corps de ce dernier pour venir se glisser sur son front, y dégageant quelques mèches rebelles alors qu'elle adoptait un petit air nostalgique. Elle en était certaine maintenant. Elle le connaissait, depuis longtemps. Pour longtemps. Si un jour quelqu'un en venait à lui faire du mal, la belle serait en première ligne pour tester ses quelques notions de combat.

MI AE ▬ Non... Je courais juste après le bonheur. Je me disais que venir me réfugier ici serait pas mal. Salles insonorisées, le droit de crier sans que personne ne m'entende si j'en avais envie, ce genre de choses. Peut-être... Chanter... » A cette mention, ses joues rosirent. « On dit que ça fait du bien, et... J'aimais ça, quand j'étais plus jeune. »

Au point d'avoir eut l'interdiction de le faire, en effet. Enfin, ce n'était pas comme si le magnat des affaires qu'était son père avait apprécié de la voir se lancer dans des études de photographie, loin de là. Mais que voulez-vous, certaines choses ne se retiennent pas. Mi Ae était une artiste, pas une femme d'affaire.

MI AE ▬ Tu m'apprends ? »

- Toujours. C'est une promesse. »

Une promesse ? Voilà qui était intéressant. Ji Seok se souvenait toutes les belles choses qu'on lui avait promises... Il espérait bien que Mi Ae tiendrait parole. Parce qu'il n'avait pas envie d'une énième déception. Il a baissé les yeux en croisant le regard noyé de la jeune femme, priant pour ne pas être responsable de sa tristesse : après tout, même s'il en avait été la cause, qu'aurait-il fait ? Il avait fait pleurer assez de gens sans même pouvoir y faire quoi que ce soit. C'était en quelque sorte l'histoire de sa vie, non ? Il ne demandait qu'à avancer, et la seule façon de s'y prendre, c'était de bousculer les autres tout en sachant qu'on ne pourra jamais avoir le temps de se retourner pour les aider à se relever, une fois qu'on aura entendu le sifflet de départ. Car oui, en quelque sorte, la vie était une course. Celle de Ji Seok, en tout cas. Il allait devoir faire de son mieux pour ne pas répéter les erreurs du passé, pour être moins naïf. Aucun faux pas n'était à noter pour ce qui en était de cet instant-là, près de Mi Ae, mais... Il était toujours lui. Toujours trop faible, toujours trop petit et trop innocent pour se rendre compte que, malgré tout les efforts du monde, il serait incapable de remettre son coeur en morceaux. Pour des raisons évidentes, cependant, il arrivait à se permettre de faire confiance à cette fille-là, cette Mi Ae qu'il avait l'impression de voir de façon différente, pour une première fois. Ji Seok voulait savoir ce qu'elle faisait là, parce que son cas l'intéressait aussi.

- Mon petit doigt m'a chuchoté à l'oreille que quelqu'un avait besoin de moi. Tu m'excuseras par contre, j'ai été obligée de venir incognito, mes collants étaient au pressing. »

Content de la voir retrouver un peu plus d'énergie, il a rigolé, embrassant sa joue avec légèreté. Honnêtement, il savait qu'il était trop près d'elle. Il s'en foutait, voilà. Tous les deux étaient rassurés, comme ça, en fin de compte. Il l'a gardée prisonnière de ses bras, ne le lâchant pas des yeux.

- Non... Je courais juste après le bonheur. Je me disais que venir me réfugier ici serait pas mal. Salles insonorisées, le droit de crier sans que personne ne m'entende si j'en avais envie, ce genre de choses. Peut-être... Chanter... On dit que ça fait du bien, et... J'aimais ça, quand j'étais plus jeune. Tu m'apprends ? »

Ji Seok l'a finalement relâchée, réfléchissant à ce qu'il pouvait bien lui dire, pour débuter. La sensation de solitude était bizarre, lorsqu'il ne la touchait pas - bien sûr que non, il ne devait pas en prendre habitude -, alors il a reprit sa main derechef, la serrant entre les siennes comme si elle risquait de se sauver. Mi Ae aimait chanter, donc. Il savait qu'elle aimait sa voix, il pouvait alors se faire un plaisir de l'aider.

- Premièrement, pour chanter, il faut que tu saches ouvrir ton coeur et laisser parler tes émotions. »

On aurait pu croire une phrase tirée d'un téléroman bidon. Ji Seok avait raison, à la fois ; il fallait apprendre à laisser ses sentiments réchauffer ses mots et donner vie à la musique. C'était le secret, dans tout ça, et c'était ce qu'il s'évertuait à faire depuis des années. Malgré tout, même si l'exercice paraissait aisé, il n'était pas facile à exécuter. Peu de gens avaient assez d'assurance pour laisser évacuer leurs émotions, même s'ils possédaient assez de talent pour atteindre la célébrité. Ji Seok en était conscient et c'est pourquoi il n'a pas lâché la main de Mi Ae à ce moment-là. Il croyait savoir comment l'aider pour cette étape.
Le jeune Baik a commencé à chanter doucement, juste assez fort pour que sa compagne l'entende, lui montrant la démarche à suivre. Il avait choisi la chanson parfaite et laissait sa voix évoluer à travers elle sans même s'en rendre complètement compte. Pourquoi était-il toujours ainsi, lorsqu'il chantait ? Il avait toujours l'impression d'être ailleurs, comme si cette voix ne lui appartenait pas. C'était peut-être à cause du souvenir de la première fois qu'il avait osé chanter, dans la noirceur de sa chambre, alors qu'il n'avait que quinze ans. Il s'était senti tellement gêné, comme si un public invisible l'écoutait. Cette première expérience avait été comme un évènement représentatif de ce qu'il vivait, de cette impression qu'il avait de toujours être surveillé. Surveillé par lui-même, peut-être.
Troublé, Ji Seok s'est arrêté, jetant un coup d'oeil à Mi Ae, désireux de s'assurer qu'elle était toujours là. Comme si elle avait pu disparaître pendant les toutes petites secondes où il avait lui-même semblé s'effacer de la pièce...

- Essaie, tu verras. »

Se sentir aussi bien et aussi mal à la fois... Possible ? Il fallait croire que oui, étant donné l'étrange sensation qui envahissait la jeune fille entre les bras de son cadet. D'une certaine façon, son expérience lui répétait de faire attention. De ne pas se laisser approcher, de ne pas prononcer une seule parole de travers, de peur de tout briser autour d'elle. Par la crainte de blesser Ji Seok si, par mégarde, elle n'était pas capable de tenir cette promesse, quand bien même y croyait-elle avec une force presque inconnue d'elle-même. De l'autre côté, l'adolescente revenue à la vie dans son esprit ne désirait qu'une chose : Offrir son sourire au coréen et s'amuser avec lui. Sans doute l'unique raison pour laquelle elle ne l'avait pas repoussé aussi sec lorsqu'il avait décidé de l'enlacer, lui prodiguant sa chaleur et son réconfort sans réellement s'en rendre compte. Il fallait croire que ce jour ne serait pas celui où elle lui collerait une gifle pour calmer son orgueil. Doucement, la brune serra un peu plus son compagnon contre elle, poussant un petit soupir d'aise avant de se décider à lui répondre enfin; Réponse qui déclencha une réaction pour le moins... Surprenante. Dans un sursaut digne des plus grands dramas, la demoiselle recula la tête suite à son baiser, lui accordant un regard presque choqué et révélant par là-même le rose innocent de ses joues. Il venait de l'embrasser, là, tout de suite ? D'accord, sur la joue. Rien de grave. Rien de significatif. Rien de... Il venait de l'embrasser ! Et elle avait réagit comme une biche aux abois, les lèvres entrouvertes sur une réplique mordante qu'elle lui aurait peut-être sorti dans une autre situation moins intime, si il n'avait rit à sa blague, si elle n'avait pas eut autant besoin de lui en cet instant. A moins que ce ne fut un état permanent ? Vouloir être proche de quelqu'un. Vouloir être proche de lui. Alors elle se contenta d'un sourire d'excuse pour mieux reprendre la parole, l'air de rien. Ou presque.

Sa première réaction fut de la relâcher, abandonnant son corps frêle à une certaine froideur qui se faisait après un contact humain. A une espèce de manque physique, en fait, si il n'était pas mental également. Mi Ae manqua presque de lui adresser un regard de chien battu pour la peine, mais à les croire connectés, elle sentit aussitôt sa main revenir à la sienne. Ce contact suffit à lui rendre son assurance, et la petite pression ressentie lui arracha quelques frissons de joie insensée. Il le lui montrait si clairement, qu'il y aurait toujours une main pour se saisir de la sienne même dans les pires moments, sans même avoir besoin de mots pour le souligner. S'accrocherait-il aussi fort à elle si elle lui disait que les gens l'entourant étaient maudits ? Oui. Peut-être même plus. Le brun serait toujours là, et vice versa. Tout en changeant régulièrement de situation, entre chiens et chats puis enfants perdus, ils étaient reliés. Malgré les différences et, parfois, les incompréhension.

JI SEOK ▬ Premièrement, pour chanter, il faut que tu saches ouvrir ton cœur et laisser parler tes émotions.
MI AE ▬ Laisser parler mes... Émotions... ? »

Oui, et ouvrir ton cœur. C'est exactement ce qu'il vient de dire avant que tu ne joues les perroquets. Ceci dit, la phrase n'en paraissait pas moins étrange. Pas sur son côté dégoulinant digne d'une série à l'eau de rose, mais sur son principe même. Se laisser aller était une chose qu'elle n'avait plus fait depuis des années, et ces paroles ne déclenchaient pour le coup qu'un grand moment de perdition pour elle qui avait conscience que la dernière fois datait de sa précédente tentative de suicide, avant que ce nouveau monde ne soit créé. Ça sembler déjà remonter à si long, rendant le fait que ça ne s'était pas encore déroulé d'autant plus déroutant. Ce n'est qu'en entendant la voix de son vis-à-vis s'élever en un murmure proche qu'elle sentit son corps se détendre, abandonnant la lutte contre l'esprit pour mieux se laisser imprégner par tout ce qu'il pouvait dégager à cet instant. Une sensibilité à fleur de peur dont elle n'avait jamais eus conscience avant de lui sauter dessus pour une première rencontre éprouvante. En fait, maître de sa voix et de l'espace qui l'entourait, son dongsaeng semblait... Entier. Oui, c'était ça. Le terme le plus exact pour replacer cette fascination qu'il exerçait sur elle, la poussant à serrer un peu plus sa main afin de se connecter à cette force qu'il ne semblait pas connaître en dehors du chant. Oui, elle serait là, et personne ne l'empêcherait de faire ce qu'il désirait, quitte à s'en prendre de belles venant de la photographe. Jamais elle n'hésiterait pour lui. Lentement, le plus bas possible pour ne pas se faire entendre, Miu commença à chanter. Hésitante, en manque de l'assurance qu'elle affichait pourtant si bien pour rembarrer les gens, tentant de s'accorder à celle de son nouveau professeur et s'habituer en même temps à être entendue par quelqu'un. Et de fait, il s'arrêta, lui laissant la place tout en vérifiant qu'elle était toujours là. En fait, oui, en quelque sorte. Concentrée sur ce qui ressemblait plus à du marmonnement qu'autre chose, pour le moment, mais elle était présente et en possession de tous ses moyens.

JI SEOK ▬ Essaie, tu verras. »

Sauf que c'était justement de cette maîtrise dont elle n'avait pas besoin, aussi hocha-t-elle brièvement la tête avant de laisser sa voix s'élever à un volume plus apte à toucher l'oreille humaine. Ceci dit, elle préféra détourner la tête pour mieux masquer le rougissement qui se faisait la place belle sur son visage à mesure que les notes s'élevaient dans l'air, de plus en plus précises et lâchées en électron libre entre eux. Quelque chose qui sortait d'une façon joyeuse, comme à la renaissance de quelque chose, mais avec cette pointe de nostalgie sur tout ce qu'il avait fallu traverser pour en arriver là. Telles étaient ses émotions. Un long, trop long chemin parcouru pour enfin renaître. Un sentiment que son voisin devait parfaitement connaître, bien qu'elle ne le sache pas. Puis elle buta, misérablement. Un petit mot, tout simple, léger, qui suffit pour que sa voix s'y perde et y meure, dans la reprise de conscience qu'elle n'était pas seule et qu'elle était sans doute en train de se ridiculiser.

MI AE ▬ Auu~, c'était... Ah ! Je comprends mieux pourquoi tu as besoin de suivre des études pour ça... »

Traduction : J'ai été pitoyable. Dans les faits, non, pas tant que ça. Mi Ae possédait une jolie voix, douce et caressante comme la brise faisant voler des fleurs de cerisier, et possédait l'avantage de chanter juste. Pour autant, tout en chantant bien, et malgré l'air relaxé que l'exercice venait de lui conférer, elle n'était pas née pour ça. En somme, elle aurait aisément fait office de chœur, mais sans doute pas de soliste. A son tour, la belle se pencha vers la joue du brun et posa un lent et tendre baiser sur celle-ci, effleurant le bout de ses lèvres sans même le remarquer, toute concentrée qu'elle était à ne pas trop se planter dans sa façon de montrer ses émotions. Sa reconnaissance pour tout, en fait. Se détachant à peine de sa peau, elle chuchota un doux 'Merci' à son oreille, bien décidée à ne pas jouer le rôle de la Reine des Glaces ce jourd'hui.