Je suis née en automne, la saison des feuilles mortes. J'avais sept ans quand ma mère est décédée d'une maladie du cœur. J'étais très triste et je ne faisais que pleurer, mais ce n'était pas pour autant que je l'aimais. Elle nous a abandonné mon père et moi pour un autre homme. J'ai toujours été très proche de mon père - je crois même que son caractère est imprégné en moi - mais l'absence d'une maman était quand même un manque. Nous étions allés habiter chez grand-père parce qu'on se disait qu'à trois on s’ennuierait moins, vu que lui aussi il était seul. Mais ce fut plus ou moins une erreur. Nous avions négligé son tempérament. Grand-père était très autoritaire, mon père et moi étions un peu ses serviteurs. Nous devions nous lever très tôt le matin pour préparer sa soupe aux algues et faire le ménage tous les jours. Mais papa ne voulait pas partir parce qu'il trouvait cette vie marrante, c'était bien la parole d'un combattant, une vie tranquille ne lui convenait pas. Malgré tout, grand-père était très protecteur envers nous. A l'école, personne n'osait m'embêter quand je leur disais que grand-père aillait les achever un par un *rire*. Malgré son âge, il était très respecté, surtout par les gens qui le connaissaient. Mes ancêtres étaient tous de célèbres peintres. C'était de la peinture traditionnelle sur soie, elle était encore populaire à cette époque. Il voulait absolument que je lui succède dans le métier. Moi je me fichais complètement de la peinture, tout ce qui m'intéressait c'était le théâtre. Je le lui avais caché au début, je me disais qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps à grand-père, un petit geste pour qu'il puisse finir heureux. Alors je peignais pour lui faire plaisir. J'étais plutôt douée mais lui ne le reconnaissait pas, ses critiques étaient sans cesse. Et puis un jour, il a découvert mes scénarios cachés sous le matelas - c'était bizarre parce qu'il n'entrait jamais dans ma chambre *rire*. Bien sûr il était fou furieux. Il avait déchiré mes textes en mille morceaux. Il m'avait rendu furieux à mon tour aussi; il m'enfermait dans la maison pour m'empêcher de partir à mon cours de théâtre. Mon père lui suppliait de rendre les clés mais il ne voulait pas - ça a dû être dur pour lui de supplier quelqu'un. Comme j'étais entêtée de nature, je ne voulais pas changer de passion pour lui -pourquoi je ferai ça- alors à cet instant ce que je trouvais à faire c'est de lui dire méchamment comme la peinture ne m'intéressait pas et comme elle était démodée. Dire des choses à cette façon était un peu mon point fort, ça a dû être la raison pour laquelle je n'avais pas beaucoup d'amis à l'époque. En tout cas, il avait fini par balancer les clés. Quand j'étais sortie, mon père et moi l'avions découvert par terre dans le salon. Il était mort d'hypertension. J'avais quatorze ans.
Vingt-huit ans ont passé, je me rappelle toujours de ce jour là, je me sens toujours coupable de sa mort. Je suis maintenant une célèbre actrice, j'ai accompli mon rêve comme je le voulais. Je pense que maintenant je peux accomplir le sien.